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Découvertes

"BlackKklansman" : l’histoire vraie de Ron Stallworth, policier afro-américain qui a infiltré le Ku Klux Klan en 1978

Après avoir été le premier policier noir à intégrer le commissariat de Colorado Springs en 1972, Ron Stallworth s’est mis en tête d’infiltrer l’organisation suprématiste blanche du KKK. Et il y est parvenu.

Des membres du Klu Klux Klan brûlent une croix dans la série "Roots : The Next Generations" diffusée sur ABC en février 1979.
Des membres du Klu Klux Klan brûlent une croix dans la série "Roots : The Next Generations" diffusée sur ABC en février 1979. ABC Photo Archives/ABC via Getty Images
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Il y a tout juste un an, des hommes du Ku Klux Klan défilaient, cagoule blanche pointue sur la tête, dans les rues de Charlottesville lors du rassemblement "Unite the Right". Quelques jours plus tard, un militant de l’extrême droite fonçait en voiture dans une foule d’opposants et tuait Heather Heyer, jeune Américaine de 32 ans.

Symboliquement, le réalisateur Spike Lee a choisi la date anniversaire de ce tragique événement pour la sortie de son film "BlackKklansman" avec John David Washington et Adam Driver, grand prix du jury au festival de Cannes, dans les salles françaises le 22 août 2018. Un long-métrage fort, percutant et à la fois plein d’humour qui retrace l’histoire vraie de Ron Stallworth, policier afro-américain qui a infiltré pendant de longs mois le Ku Klux Klan à la fin des années 1970 à Colorado Springs.

VOIR AUSSI : Comment un musicien afro-américain a poussé 200 suprémacistes blancs à quitter le Ku Klux Klan

Lorsque Jordan Peele, réalisateur de "Get Out" et producteur de "BlackKklansman", a contacté Spike Lee avec l’idée de ce projet, ce dernier a d’abord vérifié qu’il ne s’agissait pas d’une blague, se souvenant du sketch de Dave Chappelle jouant Clayton Bigsby, un membre du Ku Klux Klan noir et aveugle à qui l’on fait croire qu’il est blanc. Et pourtant, le récit de Ron Stallworth est tout sauf une plaisanterie. L’homme a d’ailleurs déjà raconté cet épisode ubuesque de sa vie dans la presse en 2006, puis dans le livre "Black Klansman", publié en janvier 2014.

"Un moment d'absence" et l'infiltration démarre

En octobre 1978, six ans après avoir été le premier Noir à intégrer le commissariat de Colorado Springs, Ron Stallworth travaille au service des renseignements lorsqu’il tombe sur une annonce du Ku Klux Klan dans un journal local. "J’ai écrit une petite lettre en me faisant passer pour un raciste blanc : j’expliquais que je détestais les 'nègres', les 'youpins', les 'latinos', les 'jaunes 'et les 'ritals'", se souvient-il pour Vice. "J’ai utilisé tous les termes racistes qui me venaient à l’esprit. Et j’ai écrit que je voulais faire quelque chose afin de préserver la 'suprématie blanche'".

"J’ai écrit une petite lettre en me faisant passer pour un raciste blanc"

Persuadé qu’il s’agit d’une blague ou d’une fausse adresse, Ron Stallworth a "un moment d’absence" et signe la lettre de son propre nom, accompagné du numéro de téléphone qu’utilisait la police pour ses couvertures. Une semaine plus tard, le poisson mord à l’hameçon : un certain Ken O’Dell, responsable local du Ku Klux Klan, rappelle le policier à ce numéro. "Il voulait savoir ce qui me motivait à rejoindre le Klan." Ron invente alors une nouvelle diatribe raciste suffisamment convaincante pour que l’homme souhaite le rencontrer.

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Ron Stallworth noir, Ron Stallworth blanc

Ron Stallworth a alors l’idée de faire de Chuck, un collègue de la brigade des stups, son "Ron Stallworth blanc" qu’il envoie à sa place aux réunions de l’organisation. "Le plus difficile a été de faire en sorte que tout ce que je disais au téléphone soit repris par Chuck. Inversement, je devais faire comme si j’avais participé aux réunions. Il fallait maintenir cette cohérence à tout instant pour qu’ils aient vraiment l’impression de parler à une seule et même personne."

Et l’infiltration fonctionne. Pendant plusieurs mois, le Ron noir et le Ron blanc côtoient de près les membres locaux du Ku Klux Klan, parmi lesquels ils identifient notamment deux hommes du Commandement de la défense aérospatiale des États-Unis. Tenus au courant des "activités" de l’organisation – brûler des croix et "faire exploser deux bars à fiottes" –, ils parviennent à faire annuler plusieurs rassemblements à Colorado Spring, Kansas City, ou Los Angeles en déployant une grosse présence policière.

Des échanges téléphoniques avec David Duke, le grand sorcier du KKK

Un jour, alors que Ron Stallworth s’impatiente de ne pas avoir encore reçu sa carte de membre officielle du Ku Klux Klan, il contacte le numéro de "La Voix du Klan" et tombe directement sur David Duke, alors "grand sorcier" du Ku Klux Klan, le rang le plus important de l’organisation suprémaciste. Il lui promet de s’occuper au plus vite de l’envoi de sa carte – qui trônera ironiquement pendant près de 15 ans accrochée au mur de son bureau. Mais ce n’est pas tout. Ron Stallworth s’entretient ensuite à plusieurs reprises au téléphone avec David Duke, persuadé de tenir là un membre prometteur du KKK.

Le 10 janvier 1979, Ron Stallworth finit même par approcher pour de vrai le "grand sorcier" du Klan, mais dans des conditions plutôt inattendues. Alors que David Duke se rend à Colorado Springs pour attirer de nouvelles recrues, il est la cible de menaces de mort. Alors le policier est prié, par son supérieur, d’assurer sa sécurité. "C’est la seule fois où j’ai eu peur pour ma couverture", raconte-il à Vice. Malgré la crainte que quelqu’un reconnaisse sa voix, Ron Stallworth se retrouve ce jour-là dans la même pièce que son double infiltré, le Ron Stallworth blanc, et que David Duke. Ironie suprême, il parvient même à se faire prendre en photo avec le chef du Ku Klux Klan, bras dessus bras dessous. Un polaroïd qui a depuis malheureusement été perdu, écrit le policier dans son autobiographie.

"C’était juste une bande de connards de racistes"

Quelques mois plus tard, en mars 1979, Ron Stallworth est contraint par sa hiérarchie de mettre fin à son infiltration sans aucune explication.

"Mon seul regret est de ne pas avoir pu leur révéler qui j’étais et ce que je faisais – j’aurais aimé les gêner et leur montrer à quel point ils étaient stupides. Mais je devais garder le secret. Oh, j’ai pris du plaisir à les berner sans qu’ils le sachent. C’était juste une bande de connards de racistes", assure aujourd’hui le policier à la retraite, qui qualifie cette époque de "l’une des enquêtes les plus importantes" de sa carrière.

Spike Lee tire la sonnette d'alarme

Mais aussi drôle que cette histoire puisse paraître, le fait que des organisations extrémistes similaires existent toujours 40 ans plus tard fait froid dans le dos. "La différence entre 1979 et aujourd’hui c’est que le mouvement suprémaciste blanc est revenu en arrière dans le temps, ils sont maintenant plus violents qu’avant lorsqu’il s’agit d’atteindre leurs objectifs. Les skinheads et les néo-nazis sont capables d’attaquer ouvertement les gens qui se mettent en travers de leur chemin ou qui sont en désaccord avec eux", prévenait déjà Ron Stallworth en 2006.

Pourtant au lendemain des affrontements mortels de Charlottesville, le président américain Donald Trump avait déclaré lors d’une conférence de presse surréaliste : "Vous aviez d'un côté un groupe qui était méchant et de l'autre côté un groupe qui était aussi très violent." Dans la foulée, David Duke, fidèle supporter du président qui aurait officiellement abandonné le KKK, réagissait sur Twitter : "Merci, président Trump, pour votre honnêteté et votre courage de dire la vérité sur Charlottesville et condamner les terroristes gauchistes de Black Lives Matter/Antifa."

Pour Spike Lee, cela ne fait aucun doute, "l’agent Orange" – comme il le surnomme – est clairement "du mauvais côté de l’histoire". Et ceux qui verront "BlackKklansman" ne devraient plus en douter.

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