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Découvertes

"Pour rester décentralisée, la blockchain a besoin d'une gouvernance", prévient la chercheuse Primavera De Filippi

La chercheuse Primavera De Filippi a trouvé la meilleure manière d'expliquer ce qu'est la blockchain : en la comparant avec Internet.

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Les 25 et 26 juin, au Carrousel du Louvre, s'est tenue la 11e édition de la conférence USI. Durant deux jours, chercheurs, ingénieurs, penseurs ou entrepreneurs parmi les plus influents au monde sont intervenus sur scène pour tenter d’entrevoir, chacun à leur manière, de quoi sera fait notre futur. Cette année, Mashable avec France 24 est partenaire de l’événement, et y consacre un cycle d’entretiens avec plusieurs personnalités invitées. Retrouvez le meilleur des conférences 2018 sous le hashtag #MashableFRxUSI.

Depuis 2009, la blockchain s'annonce comme une véritable petit révolution qui va bouleverser bon nombre de nos transactions. Neutre, décentralisée et sécurisée, cette technologie principalement connue pour se trouver derrière le bitcoin promet bien d'autres applications.

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Dans le secteur de la santé, le milieu de la musique, le vote en ligne ou encore dans le domaine de l'agriculture, la blockchain permet le stockage et l'échange d'informations. Selon Primavera De Filippi, universitaire rattachée au CERSA (Centre d’études et de recherche en sciences administratives et politiques), la blockchain est un maillon important de la lutte pour un Internet libre. Dans sa conférence à USI 2018, la chercheuse a évoqué le fait de "disrupter les disrupters" via la blockchain, notamment en rappelant que le fait de parler d'"ubérisation" comme d'une désintermédiation n'est pas juste puisque Uber est précisément un intermédiaire. Même si une forme de désintermédiation a eu lieu chez des acteurs comme Uber et Airbnb qui sont venus proposer une offre alternative aux taxis et à l'industrie hôtelière, une réintermédiation a eu lieu chez ces plateformes qui demeurent sous le contrôle d'un acteur bel et bien centralisé.

Primavera De Filippi, pour parler de la blockchain, vous la comparez souvent à Internet.

Si je fais cette comparaison entre deux choses pas exactement comparables, c'est pour simplifier les choses en abordant plus précisément la question du réseau décentralisé. Vous vous souvenez de ce qu'on disait du réseau mondial : véritable révolution numérique, nouvelle façon de communiquer de pair à pair, incroyable moyen de se passer d'intermédiaires... Longtemps, on a donc parlé d'Internet comme d'un endroit ouvert, désintermédié, libre.

"Longtemps, on a donc parlé d'Internet comme d'un endroit ouvert, désintermédié, libre"

Mais très rapidement, on s'est aperçu que cet endroit désintermédié s'est ré-intermédié, autrement dit : tout à coup, des opérateurs centralisés s'y sont installés et se sont mis à dominer ce réseau qui reste sur le papier, décentralisé. Ce qui donne un réseau officiellement décentralisé, mais dont les applications, elles, sont centralisées. De plus en plus d'acteurs ont compris comment utiliser Internet pour leurs propres intérêts. Aujourd'hui, l'entité Internet est donc loin de ce qu'on lui souhaitait d'être au commencement.

Revenons maintenant à la blockchain. Quand on regarde les promesses formulées à propos de cette technologie, on retrouve beaucoup de ce qui se disait à propos d'Internet à ses débuts. On parle à nouveau de réseau décentralisé, sans intermédiaire... La question est donc de savoir si l'avenir de la blockchain est le même que celui d'Internet. Est-ce que ce réseau décentralisé techniquement risque à nouveau de se retrouver gouverné par des opérateurs centralisés ? Est-ce que cet outil d'émancipation va redevenir un outil de contrôle ?

Quelle véritable rupture apporte la blockchain ?

Une chose que l'on trouvait fantastique avec Internet, c'était le fait de pouvoir se partager un fichier. Il suffit d'avoir le document en format numérique et de l'envoyer à un destinataire, sauf que le fait d'en envoyer une copie à un pair ne nous enlève pas le droit d'en conserver une copie pour soi. Ça, c'est ce qu'Internet a permis. 

Mais le partage de documents démultipliés ne permet pas d'en conserver leur valeur au sens "rareté" du terme. Ce n'est pas le cas de la blockchain. Avec cette technologie, ce que l'on s'échange ne peut pas être dupliqué à l'infini. Le produit de l'échange conserve donc sa valeur. C'est ce qui rend la blockchain intéressante pour les transactions et échanges de valeurs. Parce que tout est sécurisé et validé par le réseau entier, je peux échanger sans avoir à faire confiance à une entité tierce [NDLR, comme par une banque], mais simplement parce que le réseau sur lequel je le fais est autonome et fiable.

Que peut-on faire pour protéger la blockchain de tout risque d'être centralisée ? Une réglementation peut-elle être la solution ?

En matière de réglementation, on ne peut guère penser à plus qu'à un droit de la concurrence pour éviter que des monopoles ne se forment. Mais toute réglementation suppose des contrôles et une surveillance. Ce qui revient à dire qu'aucune réglementation n'ira jamais dans le sens d'une désintermédiation. Il n'y a qu'à voir la régulation d'Internet : elle passe par le fait de réguler des intermédiaires et via eux, des individus. La blockchain est une technologie décentralisée. Or, on ne peut pas s'attendre à ce que la réglementation pousse vers une décentralisation.

"Comment créer un système décentralisé mais avec une coordination demeurant décentralisée ?"

L'unique levier serait une réflexion sur la gouvernance. Comment créer un système décentralisé mais avec une coordination demeurant décentralisée ? Comment implémenter le consensus, par exemple dans lequel où tout le monde est d'accord pour invalider une transaction ? Sachant que l'on n'a pas trouvé la réponse pour Internet, il sera difficile d'en trouver une pour la blockchain. Chose sûre : le diable ne se trouve pas dans les intermédiaires. La blockchain pourrait compter sur certains intermédiaires tant qu'ils ne deviennent pas monopolistiques. C'est ce biais-là dont nous devons nous prémunir, si l'on regarde ce qu'est devenu Internet dominé par des géants.

Aujourd'hui, quels sont les débats éthiques auxquels la bockchain fait face ?

Qui décide des règles ? Qui surveillent leurs applications ? Malheureusement, ces questions primordiales sont peu abordées pour une raison simple : le développement de cette technologie est assuré par un petit groupe de développeurs. Il n'y a pas vraiment de représentativité des personnes qui vont utiliser ou qui vont être assujetties à cette technologie.

Aujourd'hui, la gouvernance se fait par défaut au niveau des mineurs qui vont décider quelles transactions enregistrer, des gens qui détiennent des tokens... Mais l'utilisateur, lui, est souvent oublié.

"La blockchain a aujourd'hui besoin de se poser la question du maintien de son ordre social et moral"

On crée des systèmes conçus pour émanciper les individus, mais on se rend compte que l'utilisation de ces systèmes est faite pour enrichir les mineurs et ceux qui détiennent les tokens. La blockchain a aujourd'hui besoin de se poser la question du maintien de son ordre social et moral. Comment encadrer les risques de voir cette technologie utilisée contre l'intérêt général ? Comment être certain que la blockchain respecte toutes les questions de vie privée et de confidentialité ? Il y a encore beaucoup de questions, allant de celle des intérêts de chacun à celle de la régulation. Le prochain défi est d'incorporer des mécanismes juridiques à l'intérieur de la technologie, afin de pouvoir la gérer.

Claira Balva, CEO de Blockchain Partner, nous expliquait que la blockchain n'est pas en soi révolutionnaire, mais que ce sont ses applications qui vont l'être. Quelles pourraient être celles-ci, selon vous ?

Je les diviserais en trois catégories. D'abord, les applications financières : tout ce qui touche aux cryptomonnaies, aux tokens... bref, tout ce qui utilise la blockchain comme système d'échange de valeurs. Ensuite, il y a tout ce qui concerne le cadastre et le registre : ça a l'air basique comme ça, mais c'est une révolution incroyable puisque dans ce domaine, la blockchain pourrait être une base de données officielle. Enfin, il y a les smart contracts qui permettent aux individus de se coordonner entre eux sans opérateur centralisé contrôlant leurs transactions.

Dans ces trois cas de figure, la blockchain promet d'être une révolution de la confiance. Cette dernière n'est plus détenue par un tiers, mais partagée sur un réseau.

BONUS : La conférence de Primavera de Filippi à L'Échappée volée

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