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Nouvelles technologies

«Il n'y a pas de raison de croire qu'on se fera détruire par nos robots»

Une énième vidéo de l'entreprise américaine Boston Dynamics a fait parler d'elle ces derniers jours. Et pour cause, elle montre un robot articulé - le SpotMini - ouvrir une porte. Une vision qui en a terrifié plus d'un sur les réseaux sociaux. Pourtant, d'après la spécialiste en robotique Sophie Sakka, le progrès technologique autour des robots humanoïdes est une excellente nouvelle.

Les robots tueurs de l'épisode «Metalhead», de la série Black Mirror, sont inspirés des BigDog de Boston Dynamics.
Les robots tueurs de l'épisode «Metalhead», de la série Black Mirror, sont inspirés des BigDog de Boston Dynamics. U.S. Marine Corps
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Une vidéo de 2 minutes a été largement partagée sur les réseaux sociaux depuis le 12 février dernier. On y voit un petit chien ouvrir une porte, puis la tenir afin que son camarade et lui puissent traverser. Sauf que ces deux « chiens » sont en fait des robots. Coutumière de ce genre de vidéo sensationnelle, la firme américaine Boston Dynamics a une fois de plus réveillé l'imaginaire catastrophiste des internautes, qui ont comparé ce SpotMini - c'est son nom - aux robots tueurs d'un épisode de la série britannique Black Mirror. « C'est juste une révolution technologique », rétorque Sophie Sakka, chercheur en robotique humanoïde et présidente de l'association Robots!.

RFI : Faut-il avoir peur des robots de Boston Dynamics, capables de faire des saltos arrière ou d'ouvrir une porte ?

Sophie Sakka : Il n'y a pas de raison d'avoir peur, c'est juste une révolution technologique. Quand la machine à laver est arrivée, fallait-il en avoir peur ? C'est la même question, sauf qu'ici, il y a un fantasme développé par des sociologues, des journalistes, des gens qui ne savaient pas et qui se sont basés sur un imaginaire de science-fiction. Ils ont généré des peurs auprès du public qui, pour une majorité, n'a jamais vu de robot, à part à la télévision. Malheureusement, notre imagination est basée sur des films où les humains se font attaquer par leurs propres machines...

C'est aussi la communication de Boston Dynamics, à coups de vidéos impressionnantes, qui attisent certaines peurs...

C'est déjà un excellent moyen d'aborder le problème. Pouvoir enfin parler de robots humanoïdes permet de confronter l'imaginaire avec la réalité et de se rendre compte qu'il n'y a pas de raison de croire qu'on se fera détruire par nos robots.

Nous prêtons des intentions à ces robots. Alors qu'en fait, ils sont programmés, ils n'ont aucune intention, ne pensent pas comme les humains. Donc déjà, ce n'est pas le robot qui est effrayant, mais ce sont les programmeurs.

En plus, les robots les plus dangereux ne sont pas des humanoïdes ! Prenez les drones militaires. Ils sont plus petits qu'un paquet de cigarettes et sont équipés d'une charge explosive. Très peu détectables, ils vont aller exploser sur une cible. Si vous avez un nuage de 300 de ces drones, vous pouvez faire beaucoup de dégâts. Sur ce sujet, une convention sur les règles d’utilisation a été organisée en novembre 2017 par l'ONU, autour de la question  : « Quand et comment le robot est-il autorisé à tirer ? »

Les vidéos de Boston Dynamics ne jouent-elles pas sur cet imaginaire guerrier ?

Ce sont des Américains, ils aiment les films de guerre. Ils font un travail remarquable, mais c'est sûr que les applications militaires de leurs robots posent question. Si c'est Trump qui est derrière, c'est inquiétant. Les Japonais, eux, sont dans une optique complètement différente : pour eux, le robot est une machine faite pour amuser l'homme.

Justement, Boston Dynamics a été vendu par Google à Softbank, une entreprise japonaise. Cela changera-t-il quelque chose ?

Déjà, je ne pense pas que Softbank Robotics ait des vues militaires. Ils sont plus dans le spectaculaire. C'est grâce aux Japonais que le savoir en robotique s'est internationalisé, parce qu'ils ont accepté de publier leurs travaux. Cherchez des informations sur les robots de Boston Dynamics, vous ne trouverez rien. Pour l'instant, le savoir des Américains est bloqué dans une boîte noire.

Quelle a été votre réaction en voyant les vidéos de Boston Dynamics ?

C'est magnifique ! Dans mon quotidien de mécanicienne, je programme la marche et l'équilibre. La démarche du robot Atlas, l'humanoïde de l'entreprise américaine, par exemple, ressemble beaucoup à celle de l'être humain.

Quel est l'intérêt de produire des robots humanoïdes ?

Le premier est de fabriquer des prothèses. Imaginez qu'il vous manque une jambe et que je vous en connecte une robotique, si elle marche exactement de la même manière que votre jambe naturelle, vous serez beaucoup plus confortable au quotidien, jusqu'à oublier qu'il s'agit d'une jambe artificielle.

Au sein de l'association Robots !, que vous avez fondée, vous travaillez aussi avec des robots humanoïdes. Dans quels buts ?

Nous cherchons à répondre à la question : comment les robots peuvent aujourd’hui améliorer notre quotidien ? Nous expérimentons avec le grand public sur des robots fournis par plusieurs constructeurs [comme Softbank, ndlr] afin de tester scientifiquement leur utilisation. Si c'est un succès, on diffuse les résultats sur internet pour que n'importe qui puisse les utiliser.

Notre premier programme est un accompagnement thérapeutique d'autistes par médiation robotique. On ne soigne pas l'autisme, mais on apaise les angoisses qui en découlent. Et sans elles, tous les symptômes habituellement associés à l'autisme disparaissent.

Comment procédez-vous ?

Pendant 20 séances hebdomadaires d'une heure, les jeunes programment les robots et construisent un spectacle. Ils leur font dire et faire tout ce qu'ils veulent - ça passe souvent par des insultes. En s'exprimant à travers les robots, c'est comme s'ils prenaient vie dans leur corps. Donc ils sont complètement protégés : quand le robot parle, les gens regardent le robot, pas eux. Cette protection leur permet de se reconstruire. La 21e séance est la restitution du spectacle devant un public d'une vingtaine de personnes. Nous diffuserons les résultats d'ici la fin de l'année.

Nous commençons aussi un programme avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et autres dégénérescences apparentées, mais il est trop tôt pour en tirer des conclusions. Depuis 2017, on attaque l'évolution des métiers par la robotique. Nous travaillons avec des barmen et des enseignants pour savoir ce qu'apporte spécifiquement un humain dans l'accomplissement d'une tâche, ce qu'apporterait un robot et, enfin, comment concilier les deux.

Ces robots risquent d'évoluer au milieu de nous pour effectuer des tâches que les humains ne font plus. C'est mieux qu'ils aient une apparence humanoïde pour ne pas nous choquer au quotidien.

Les robots vont-ils vraiment nous voler nos emplois ?

Les métiers vont évoluer. Au même titre que, quand les machines à laver ont été inventées, les lavandières ont disparu, mais d'autres métiers sont apparus. Nous sommes tellement occupés à avoir peur de ce qu'il pourrait se passer que l'on ne voit pas que ça se passe maintenant même, et pas si mal que ça. On voit bien Terminator mais personne ne parle du fait qu'un robot va pouvoir vous soigner après une rupture d'anévrisme sans vous ouvrir la boîte crânienne !

Les avancées en robotique sont incontestables, mais qu'en est-il de la réglementation ?

Il n'y a rien au niveau éthique pour les robots du quotidien... En France, si vous faites voler un drone, il vous faut l'accord du ministère des Armées. La réglementation est très stricte. En revanche, un Roomba, un aspirateur avec des capteurs, est chez vous et ne subit aucune règle. Pourtant, il est connecté à internet, avec des mises à jour. N'importe qui peut prendre le contrôle de votre aspirateur et voir ce qu'il se passe chez vous. Pareil pour les NAO, les humanoïdes de Softbank équipés de caméras et de micros : les gens les utilisent pour se connecter à leur réseau WiFi, ouvert à l'extérieur.

Qu'est-ce qui coince ?

Le droit n'a pas suivi le vent des nouvelles technologies. Il s'agirait de surveiller les données récupérées par les entreprises. Elles devraient attester par écrit qu'elles n'utilisent pas ces données. Or, pour le moment, rien n'est clair. De plus, il n'y a aucune raison que les robots soient épargnés des virus. Lorsqu'un robot humanoïde ou une voiture autonome est piraté(e), qui est responsable ?

Les juristes sont en train de se demander si un robot pourrait avoir la citoyenneté ou pas. En attendant, il faudrait protéger les données d'abord. L'académie des technologies, les ministères ou encore des experts du Sénat travaillent sur ces sujets-là. Si les robots ne sont pas complètement intégrés dans la société aujourd'hui, c'est qu'il faut tout d'abord répondre à toutes ces questions d'éthique.

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