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ARABIE SAOUDITE

"Quel est votre avis sur le Qatar ?" : le jeu mobile qui terrifie les Saoudiens

Capture d'écran de l'appli "Le Jeu de Mariam", qui défraie actuellement la chronique en Arabie Saoudite.
Capture d'écran de l'appli "Le Jeu de Mariam", qui défraie actuellement la chronique en Arabie Saoudite.
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Lancé fin juillet par un jeune informaticien saoudien, un nouveau jeu pour smartphone suscite l'inquiétude dans le royaume wahhabite. Une histoire digne d’un film d’horreur, avec une petite fille perdue dans la forêt qui vous demande de l’aider à retrouver sa maison. Et qui tout d’un coup, se met à vous poser des questions de plus en plus étranges et, surtout, politiquement sensibles.

Baptisée "Le jeu de Mariam", l’application a été développée par Salman al-Harbi, un jeune chercheur saoudien en intelligence artificielle. Disponible sur l’Apple Store uniquement, elle a rencontré un vif succès dès sa mise en ligne le 25 juillet. Selon son concepteur, plus de 400 000 utilisateurs l’on téléchargées, dont plus de 320 000 basés en Arabie saoudite.

Dans ce jeu, l’utilisateur est plongé dans une ambiance angoissante qu’on dirait tout droit sortie d’un film d’épouvante, avec une fillette aux airs de poupée maléfique rappelant la petite fille du film d’horreur "Annabelle", des grincements de portes, des chuchotements.

Au début, la fillette réclame l’aide du joueur et lui fait des demandes plutôt anodines : "Tu peux m’accompagner chez moi ?" ou "Tu veux rencontrer mes parents ?". Puis, les questions deviennent de plus en plus personnelles :  "C'est quoi ton vrai nom ?", "Quelle est ton adresse ?"...

La petite fille pousse l’indiscrétion jusqu’à demander à l’utilisateur son opinion sur le boycott du Qatar par l’Arabie saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis et le Bahreïn. La question a donné des sueurs froides à beaucoup d’utilisateurs, et pour cause : depuis juillet 2017, toute manifestation de soutien envers le Qatar est punie d’une peine allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement dans ces pays.

Sur cette capture d'écran de l'application, on peut lire une des questions polémiques du jeu : "Malek est-il ton vrai nom ou souhaites-tu le changer ?", demande la petite fille. 

"J'ai entendu dire que les pays du Golfe ont infligé un punition au Qatar", déclare la petite fille. L'utilisateur est alors invité à choisir entre deux réponses : "Le Qatar est innocent" ou "Oui, c'est mérité".    

Sous le hashtag #حظر_لعبة_مريم ("Interdire_le_jeu_de_Mariam"), de nombreux internautes ont donc demandé l’interdiction du jeu.

Traduction : "Prenez garde ! Ce jeu se termine très mal. Menaces, peurs, meurtres (…) Il s’agit de l’autre visage de la Baleine bleue."

Traduction : "Faites le savoir à tout le monde. Il [Le jeu de Mariam] viole la vie privée des gens en posant des questions personnelles. Les réponses sont conservées, dans l’intérêt de qui ?"

Des internautes ont également vu un parallèle avec ce jeu et celui de la "Baleine bleue", qui aurait poussé des dizaines d’adolescents russes au suicide ces derniers mois. Tout comme celui de la "Baleine bleue", le "Jeu de Mariam" se déroule en plusieurs étapes. Une fois une étape terminée, l’utilisateur doit attendre un ou plusieurs jours pour pouvoir accéder à la suivante. À ce jour, les utilisateurs saoudiens n’ont pu explorer que les deux premières étapes, mais beaucoup s'inquiètent et demandent déjà sa suppression.

Traduction : "Ce jeu est très ambigu et on a peur pour les prochaines étapes. On ne connaît pas encore clairement tous ses aspects."

"Le jeu utilise les mêmes procédés que les hackers"

Plusieurs experts saoudiens et koweïtiens en sécurité informatique sont également montés au créneau pour demander l’interdiction de l’application. Raed al-Roomi est un expert koweïtien en cybercriminalité. Il demande plutôt la modification des aspects problématiques.

Le jeu fait très peur en Arabie saoudite et dans d’autres pays du Golfe, car il utilise les mêmes procédés que les hackers et autres escrocs du Net, à savoir exploiter la naïveté de l’utilisateur pour le manipuler et accéder à ses données personnelles. C’est ce qu’on appelle dans le jargon "l’ingénierie sociale".

La première étape, c’est de gagner votre confiance en se faisant passer pour une connaissance, un ami. Dans le jeu, vous rencontrez une petite fille apeurée. Vous la prenez en pitié parce qu’elle seule et perdue. Peu à peu, elle établit une relation affective avec vous. Et là, mine de rien, elle commence à vous poser des questions très personnelles. Et puis parfois, elle vous demande aussi de d’ouvrir des liens pour écouter de la musique, comme si un hacker vous envoyait un e-mail en se faisant passer pour un ami, et qu’il vous demandait d’ouvrir un lien qui contient un virus.

"Le concepteur du jeu a accepté de retirer sa question sur le Qatar"

L’atmosphère glaçante du jeu m’a également interpellé, car sur Apple Store, il est autorisé à l’utilisateur à partir de l’âge de 9 ans. Je ne suis pas sûr que cette ambiance de film d’horreur soit positive sur la psychologie d’un enfant de cet âge. Des parents m’ont confié avoir peur qu’au fil du jeu, la petite fille se mette à demander aux utilisateurs de commettre des actes comme se tailler les veines ou aller jusqu’au suicide, comme c’était le cas dans le jeu de la "Baleine bleue".

Comme le jeu vient tout juste de sortir, je n’ai pas encore eu l’occasion de l’explorer complètement. Le concepteur a peut-être de bonnes intentions, mais le ton du jeu met vraiment mal à l’aise et nous fait craindre le pire. Que va faire le concepteur du jeu, Salman al-Harbi, des données personnelles qu’il aura récoltées ? Noms, adresses, comptes sur les réseaux sociaux, opinions politiques ? Je l’ai sollicité à plusieurs reprises sur Twitter et, aujourd’hui [mercredi 9 août], il accepté de supprimer la question "Es-tu pour ou contre le boycott du Qatar ?", très sensible dans cette région.

Salman al-Harbi a également affirmé sur Twitter que les informations personnelles fournies par les utilisateurs ne seront pas conservées. Personnellement, je ne peux pas m'en contenter. Il subsiste encore de nombreuses zones d’ombre autour de ce jeu. Nous continuons donc à être vigilants.

La rédaction des Observateurs de France 24 a tenté de solliciter Salman Al Harbi pour en savoir davantage sur son jeu. Sans succès pour l’instant.

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