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TÉMOIGNAGE

Espionne russe ou simple étudiante ? Mon déjeuner avec Maria Boutina

Après l’arrestation aux États-Unis de Maria Boutina pour conspiration, Philip Crowther, correspondant de France 24 à Washington, se remémore sa rencontre avec "l’espionne russe" et s’interroge sur ses "prédictions" concernant l'élection de Trump.

Un juge a ordonné mercredi 18 juillet le maintien en détention de Maria Boutina, ici en 2013.
Un juge a ordonné mercredi 18 juillet le maintien en détention de Maria Boutina, ici en 2013. Stringer, AFP
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"En tant que journaliste couvrant la politique américaine, pour rien au monde je n’aurai décliné un déjeuner avec Maria Boutina. Son profil, disait-on, était parmi les plus prometteurs : une jeune russe pro-armes et pro-Trump vivant à Washington, avec des contacts haut placés à la NRA (la puissante organisation américaine militant pour le droit au port d'arme).

Nous nous sommes rencontrés le 27 octobre 2016, soit deux semaines exactement avant l’élection de Donald Trump. L’admiration nouvelle des Républicains pour l’homme fort de la Russie, Vladimir Poutine, suscitait alors mon intérêt. Peut-être Maria Boutina serait-elle en mesure d’expliquer ce phénomène ?"

Maria Boutina a été inculpée lundi 16 juilletpour avoir agi en tant qu'"agente non déclarée d'un gouvernement étranger". Elle est aussi accusée de "complot" pour infiltrer des organisations politiques "en vue de promouvoir les intérêts de la Fédération de Russie".

"Le sixième sens des Russes" concernant "les grandes choses à venir"

Le jour de notre entrevue, en octobre 2016, elle était incroyablement confiante en la victoire, envers et contre tout, de Donald Trump. Le lendemain de notre déjeuner, le 28 octobre, elle m’envoyait ce message : "Certaines personnes disent que les Russes ont un sixième sens et peuvent parfois prédire les grandes choses à venir – c’est ce que je pense après notre rencontre. Je pense que nous aurons à traiter de choses importantes et intéressantes ensemble."

Photo postée sur le compte Facebook de Maria Butina

Je ne sais pas à quoi elle faisait allusion nous concernant, puisque nous ne nous sommes jamais revus. Mais je crois savoir ce qu’elle entendait par "les grandes choses à venir".

En fait, son optimisme quant à la victoire de Trump et l'amélioration des relations entre les États-Unis et la Russie s'était manifesté bien plus tôt. Selon des documents présentés par le tribunal, Maria Boutina a envoyé, dès mars 2015, un mail à un responsable politique américain dans lequel elle dit sa conviction que le Parti républicain gagnerait probablement la Maison-Blanche en 2016.

>> À lire sur France 24 : "Une Russe arrêtée aux États-Unis pour avoir tenté d'influencer des organisations politiques"

Cet échange a été révélé le 16 juillet 2018 par le ministère américain de la Justice. Maria Boutina est accusée d'avoir agi "en tant qu'agente d'un responsable d'un gouvernement étranger [pour] infiltrer des organisations [politiques] en vue de promouvoir les intérêts de la Fédération de Russie", détaille l'acte d'accusation, qui fait référence à une "organisation militant pour le droit au port d'arme".

Deux ans auparavant, en juillet 2016, le FBI avait ouvert une enquête de contre-espionnage sur une possible collusion entre la campagne Trump et le gouvernement russe. Le même mois, lors d'une conférence de presse, Trump avait déclaré à propos des mails de son adversaire démocrate dans la course à la Maison-Blanche, Hillary Clinton : "Vous, en Russie, si vous [nous] écoutez, j'espère que vous serez capables de trouver les 33 000 mails qui manquent. Je pense que vous seriez chaleureusementrécompensés par la presse."

Pour elle, Trump allait gagner

Nous n’étions pas en tête-à-tête lors de ce déjeuner. John Gizzi, un confrère lui aussi correspondant à la Maison-Blanche, était également présent. Il travaille pour le groupe de médias ultra-conservateurs Newsmax dont l’influence est montée en flèche avec l’élection de Donald Trump. Le PDG du groupe Newsmax Media, Christopher Ruddy, est d’ailleurs l’un des plus proches amis du président américain.

Lors de ce déjeuner avec Maria Boutina, nous avons discuté de l’élection présidentielle, de son travail à l’équivalent russe de la NRA, et de ses études. Nous avons aussi discuté des chances de Trump de gagner. Comme presque tous les journalistes et les experts, John Gizzi et moi avions tort. Et elle avait raison : Trump gagnerait.

Lors de ce déjeuner, John Gizzi et moi avons tenté de faire parler Maria Boutina "officiellement", mais en vain. Elle se concentrait sur ses études, nous a-t-elle dit. De fait, elle était fraîchement diplômée de l'American University de Washington. Elle nous a dit qu'elle donnait des cours d'histoire russe.

Trump et la délégation russe au National Prayer Breakfast

L’arrestation de Maria Boutina a été annoncée alors que Donald Trump était dans le vol le ramenant à Washington, après un premier sommet bilatéral à Helsinkiavec Poutine après lequel le président américain a été accusé de ne pas condamner la Russie pour son ingérence dans l'élection qui l'a porté au pouvoir.

Le ministère américain de la Justice a déclaré que Maria Boutina avait enfreint la loi en ne révélant pas aux autorités américaines qu’elle travaillait en tant qu'agente du gouvernement russe. Maria Boutina est soupçonnée d’avoir des liens étroits avec un "responsable russe" qui n'est pas identifié dans les documents du tribunal, mais qui, selon les médias américains, serait le politicien russe Alexandre Torchine.

Ses posts sur Facebook révèlent qu'elle et Torchine étaient tous les deux présents le 2 février 2017 au National Prayer Breakfast, un événement organisé chaque année à Washington par une organisation chrétienne. C'était le premier événement de ce type auquel Trump assistait en tant que président des États-Unis.Dans un post du 4 février 2017 intitulé "Les trois raisons pour lesquelles des Russes sont allés prier aux côtés de Donald Trump", Maria Boutina confirme que la délégation russe présente au National Prayer Breakfast était "sous la direction du vice-président de la Banque centrale de la Fédération de Russie, Alexandre Torchine".

Proche de Vladimir Poutine, Alexandre Torchine, ancien sénateur et numéro deux de la Banque centrale de Russie, est l’un des officiels russes sous le coup de sanctions américaines.

Selon l'accusation, Maria Boutina et Alexandre Torchine ont tenté de développer des relations avec des responsables politiques américains pour créer des "canaux officieux" de communication qui pourraient "être utilisés par la Fédération de Russie pour pénétrer dans l'appareil décisionnaire national".

"Félicitations à tous !"

Le 8 novembre 2016, la nuit de l’élection, Maria Boutina était parmi les rares personnes à ne pas être surprise par la victoire de Donald Trump. Dans un nouveau post Facebook, elle écrit : "Hé bien voilà. L'Amérique aura un Donald Trump républicain pour le prochain mandat présidentiel. Un partisan du droit aux armes à feu et du rétablissement des relations avec la Russie. Félicitations à tous !"

De fait, depuis l’investiture de Donald Trump, son soutien à la NRA n’a fait qu’augmenter, tout comme son intention d’avoir de meilleures relations avec la Russie, en dépit des rapport du renseignement américain selon lesquels la Russie a interféré dans l'élection présidentielle et a essayé d'aider Trump à se faire élire.

À peine deux semaines après l’investiture de Trump, Maria Boutina a eu une première raison de se réjouir. "Les États-Unis ont levé les sanctions contre le FSB [les services secrets russes], la glace est brisée, messieurs les jurés !", écrit-elle encore sur Facebook le 2 février 2017.Le Trésor américain venait d’alléger ses sanctions contre le FSB.

Maria Boutina encourt une peine de cinq ans de prison

Lors du sommet avec Vladimir Poutine à Helsinki, Donald Trump a semblé exonérer son homologue des accusations de la justice américaine sur l'ingérence de Moscou dans la présidentielle de 2016. Face au tollé, y compris au sein de son camp, il est depuis revenu sur ses déclarations et a été contraint de dire explicitement qu'il acceptait les conclusions des services de renseignement américain selon lesquels la Russie avait interféré dans l'élection de 2016.

Maria Boutina encourt une peine de cinq ans de prison. Un juge a ordonné mercredi 18 juillet son maintien en détention. 

L'article original de Philip Crowther a été publié en anglais.
Traduit de l'anglais par Alcyone WEMAËRE

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