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CENTENAIRE 14-18

Henry Johnson, soldat de Harlem et héros éphémère de la Grande Guerre

Il y a cent ans, un jeune noir américain, Henry Johnson, se distinguait dans les tranchées en mettant en déroute une douzaine d'Allemands. Célébré comme héros par une armée américaine où régnait la ségrégation, ce soldat retomba vite dans l'oubli.

Henry Johnson portant sa Croix de guerre.
Henry Johnson portant sa Croix de guerre. Wikimedia
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En novembre 1918, le Journal officiel de la République française dresse la liste de soldats cités à l’ordre de l’armée, dont plusieurs étrangers. Parmi eux, un nom attire tout particulièrement l’attention. Celui d'Henry Johnson, un Américain ayant "donné un bel exemple de bravoure et de dévouement".

"Se trouvant en sentinelle double de nuit et ayant été assailli par un groupe d’une douzaine d’Allemands, en a mis un hors de combat à coup de fusil et blessé grièvement deux autres à coups de couteau", peut-on lire dans cette citation. "Bien qu’ayant reçu trois blessures par balles de revolver et par grenades dès le début de l’action a été au secours de son camarade blessé qui allait être emporté par l’ennemi et a continué la lutte jusqu’à la mise en fuite des Allemands", continue le texte digne d’un invraisemblable scénario de film hollywoodien.

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Ces faits se sont déroulés quelques mois plus tôt, dans la nuit du 14 au 15 mai, dans le bois d’Hauzy, dans la Marne, où étaient positionnés les hommes du 369e régiment américain d’infanterie, surnommés les Harlem Hellfighters (les combattants de l’enfer d'Harlem), dont faisait partie Henry Johnson. "C’est vrai que cela peut paraître surprenant, voire exceptionnel, surtout lorsque l’on sait qu’Henry Johnson était un gars freluquet de 1m70 pour 58 kilos", souligne ainsi Thomas Saintourens, auteur de "Les Poilus de Harlem, l’épopée des Hellfighters dans la Grande Guerre". "Mais un rapport militaire très minutieux a été établi par le capitaine du bataillon, qui est revenu sur les lieux le lendemain. Il a noté le nombre de casques allemands et de douilles laissés sur place, ainsi que le volume de sang dans les flaques. Il est évident que cette histoire est avérée".

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"La couleur de peau d’un homme n’a rien à voir avec la couleur de son âme"

Donné pour mort, Henry Johnson survit à ses blessures, ainsi que son camarade qu’il a sauvé. Ses exploits font très vite le tour des tranchées. Il obtient la Croix de guerre française et le grade de sergent. Son nom fait même la une de la presse outre-Atlantique. Des reporters américains sont en effet présents au même moment dans la zone de combats et écrivent plusieurs articles sur cet acte de bravoure hors du commun. "Ce n’était pas forcément des journalistes très ouverts d’esprit. Ils avaient des préjugés sur les Noirs. Parmi eux, se trouvait Irvin Cobb, du Saturday Evening Post. C’était une plume très connue dans les États du Sud. Mais finalement, il a changé d’avis et il a fait de Johnson le premier héros noir de la Première Guerre mondiale", raconte Thomas Saintourens. Très impressionné Irvin Cobb écrira même : "S’il fallait une preuve que la couleur de peau d’un homme n’a rien à avoir avec la couleur de son âme, ces faits le montrent abondamment".

Car en ce printemps 1918, de tels propos ne vont pas de soi. Engagée depuis un an aux côtés des forces de l’entente, l’armée américaine applique la ségrégation raciale dans ses rangs. Pour l’état-major, il est impensable que les Afro-Américains soient mélangés aux Blancs. Avant même d’être déployés en Europe, les soldats du 369e régiment d’infanterie américain, dénommé alors le 15e régiment de la garde nationale de New York, sont victimes d’attaques racistes au cours de leur entraînement dans des camps de Caroline du Sud. En janvier 1918, lors de leur arrivée sur le sol français, ils sont relégués à des travaux de manutention ou de ravitaillement.

Aux côtés des Poilus

Mais du côté français, l’état d’esprit est tout autre. L’armée du Maréchal Foch a besoin de troupes fraîches et réquisitionnent ces soldats afro-américains pour les faire combattre dans les tranchées. Ils prennent alors la désignation de 369e régiment d’infanterie américain et passent sous commandement direct français. "Ils mettent une partie de l’uniforme des Poilus, la veste et les casques. Ils récupèrent aussi leurs fusils qu’on leur avait interdit à leur arrivée en leur donnant simplement des pelles", décrit Thomas Saintourens.

À l’image d’Henry Johnson, les soldats de Harlem ne tardent pas à se distinguer et gagnent leur surnom de combattants de l’enfer. Le 369e régiment d’infanterie passe 191 jours consécutifs sur le front, un record pour une unité américaine. De retour aux États-Unis, en février 1919, ils sont autorisés à défiler à New York, sur la Cinquième Avenue et dans les rues de Harlem. Désormais connu sous le nom de "Black Death", Henry Johnson est le héros de cette parade. C’est lui qui reçoit le plus grand nombre d’applaudissements.

La statue en hommage à Henry Johnson dans sa ville d'Albany.

"Il n’est jamais trop tard pour dire merci"

En quelques semaines, le jeune soldat, autrefois simple porteur de valises dans la gare d’Albany, goûte à la célébrité. L’armée américaine profite de ce succès et l'envoie même faire une tournée de conférences dans plusieurs villes. Mais la belle histoire tourne court. "Henry Johnson comprend très vite qu’il ne s’appartient plus. Il n’est plus à l’aise avec ce qu’on lui fait raconter, un discours très policé, de l’héroïsme à l’américaine. Il a l’impression d’être une bête de foire", explique Thomas Saintourens. "Lors d’une conférence à Saint-Louis, il se lâche et dit sa vérité sur le racisme et sur la façon dont ils ont été en première ligne. Il affirme que les Blancs n’auraient jamais pu faire ça". Dans la salle, les réactions sont variées. Certains veulent en découdre, tandis que d’autres applaudissent sa franchise. Henry Johnson finit par être exfiltré : "Il prend le premier train pour Albany et à partir de ce jour-là, on n'en entend plus parler".

Quitté par sa femme, rendu invalide par ses multiples blessures, tombé dans l’alcool, Henry Johnson meurt prématurément d’une myocardite en 1929. Le héros de la Grande Guerre est enterré dans le cimetière militaire d’Arlington, à Washington, mais il faudra attendre 2015 avant qu’il ne reçoive un véritable hommage. Le président Barack Obama lui remet enfin à titre posthume la Medal of Honor, la plus haute distinction militaire américaine. "Nous sommes une Nation, un peuple, qui se souvient de ses héros", déclare-t-il lors de cette cérémonie. "Nous n’oublierons jamais leur sacrifice et nous pensons qu’il n’est jamais trop tard pour dire ‘merci’".

Saul Loeb, AFP

 

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