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Découvertes

La quête de la résurrection, ou comment l’homme veut jouer avec l'ADN des animaux disparus

Plongée dans le monde de la dé-extinction, quand des scientifiques veulent faire revivre des espèces disparues.

Shutterstock/AuntSpray
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Ben Novak avait 16 ans lorsqu’il a vu une véritable colombe voyageuse pour la première fois. C’était au Science Museum du Minnesota, à Saint Paul, près de Minneapolis, où il se rendait avec une classe de son lycée du Dakota du Nord à l’occasion d’un programme de découvertes estivales. En voyant les colombes, un mâle et une femelle, Ben Novak raconte qu’il est resté sans voix durant une bonne vingtaine de minutes, planté comme un piquet devant les animaux, subjugué par le couple d’oiseaux morts.

VOIR AUSSI : Est-il possible de redonner vie aux aurochs, une espèce éteinte depuis le XVIIe siècle?

Ce jour-là, au musée, il s’est promis de consacrer sa vie à ressusciter les colombes voyageuses, aussi appelées pigeons migrateurs ou tourtes voyageuses. "Dès mon plus jeune âge, j’avais l’intime conviction que la dé-extinction allait devenir quelque chose de possible un jour et que ça serait un puissant outil pour la conservation des animaux. J’ai structuré mes études autour des espèces éteintes et de la génétique. Je voulais arriver à entrer dans le monde de l’ADN ancien", explique Ben Novak, désormais directeur de recherche pour l’organisation américaine Revive & Restore, dans une interview à Mashable FR.

La dé-extinction. Le mot est lâché. C’est le processus de création d’un organisme vivant à partir de l’ADN d’espèces éteintes. De nombreuses organisations et laboratoires de recherche à travers le monde se sont lancés dans cette quête pour faire revivre des animaux disparus. Mammouth laineux, grenouille australienne, aurochs, zèbre quagga ou même tigre de Tasmanie, pourra-t-on véritablement ressusciter ces espèces ?

Revive & Restore, un mammouth de la dé-extinction

Ben Novak a intégré en 2012 une organisation à but non lucratif américaine nommée Revive & Restore, comme directeur de recherche. Créée la même année par Stewart Brand, excentrique auteur, penseur de la cyberculture, voire même "futurologue" américain, Revive & Restore est une branche de The Long Now Foundation, une sorte de think tank culturel. C’est aujourd’hui le seul organisme au monde à avoir fait de la dé-extinction son but exclusif.

Les tourtes voyageuses sont pour Revive & Restore un "candidat modèle", un "projet pilote" permettant d’expérimenter la viabilité de ses autres projets. Car l’organisation s'est donnée beaucoup d'autres missions. Par exemple, ses responsables ssouhaitent faire revivre le putois à pieds noirs ou le Tympanuchus cupido cupido, une espèce d’oiseau disparue en 1932.

Un embryon hybride entre un éléphant d’Asie et un mammouth laineux. Techniquement possible ?

Leur projet le plus emblématique reste la résurrection du mammouth laineux, conduit par le non moins emblématique généticien George Church. Directeur de recherche en biologie synthétique et professeur de médecine à Harvard, ce "Dr Frankestein du XXIe siècle", comme il est souvent qualifié dans la presse, était l’une des 100 personnalités les plus influentes de l’année 2017, selon le magazine Time. Ce pionnier du séquençage du génome humain dans les années 1980 a annoncé, en février 2017, qu’il serait capable de créer un embryon hybride entre un éléphant d’Asie et un mammouth laineux. Techniquement possible ? Nous allons y revenir. 

Ce qui est sûr, c’est que c’est grâce à la présence de George Church que les fonds et la notoriété ont afflué vers Revive & Restore. Pether Thiel, cofondateur de PayPal et investisseur réputé de la Silicon Valley, a fait don de 100 000 dollars au projet de recherche de George Church, tout comme Tim Koogle, premier PDG de Yahoo!. Le site internet de Revive & Restore fait état de quelques dizaines de donations entre 10 000 et 100 000 dollars, principalement issues de personnalités du monde de la science et de la tech.

Des espèces hybrides à travers la planète

Revenons à nos colombes voyageuses. Elles se comptaient en milliards d’individus aux États-Unis au début du XIXe siècle, mais furent précipitées vers l’extinction en quelques dizaines d’années à cause d’un abattage massif, de la destruction de leurs colonies et du déboisement du pays. En 1914, on déclare les colombes voyageuses définitivement éteintes.

Alors pourquoi sont-elles présentées comme un "candidat idéal" à la dé-extinction par Revive & Restore ? En raison du nombre de spécimens parfaitement conservés, en particulier dans les musées. On estime qu'il y en a environ 1 530, ce qui permet aux chercheurs comme Ben Novak d’avoir accès à des séquences génomiques parfaitement conservées. Pour mener à bien ce projet, le scientifique souhaite utiliser une méthode qu'il qualifie d’ingéniérie génétique : mixer le génome d’un animal éteint avec celui d’une espèce encore vivante.

Ainsi, Ben Novak veut séquencer le génome de ses colombes, prendre des bouts de leur ADN et les insérer dans le génome des pigeons à queue barrée. "Concrètement, chacun de nos projets de sauvetage génétique se déroule en cinq étapes : In Silico, In Vitro, In Vivo, Ex Situ et In Situ", explique Ben Novak à Mashable FR. "Les deux premières phases se déroulent sur un ordinateur (le séquençage du génome et l’analyse des données) et dans un laboratoire (les cellules mises en culture en dehors de leur organisme naturel)."

In Vitro est la phase la plus complexe, puisque c’est là que se déroule l’édition génomique, où les chercheurs veulent "copier et coller" le génome de l’animal éteint dans un individu mâle et femelle de l’espèce vivante. Les petits du couple deviendraient ainsi la première génération de cette espèce éteinte, qu’ils élèveront en captivité (Ex Situ) avant de les installer dans leur environnement "naturel" (In Situ).

C’est la même méthode qu'envisage George Church pôur ses mammouths laineux. Il ne s’agit en réalité pas de "ressusciter" une espèce à proprement parler, mais d’encourager la formation d’un hybride. "Nous ne créons pas des copies, nous n’essayons pas d’atteindre le passé pour le dupliquer. Nous créons quelque chose grâce à la manipulation génétique pour nous rapprocher de la dé-extinction", continue Ben Novak, qui en est toujours à la phase "In Vitro" de son projet de recherche.

À terme, l’idée est de réintroduire ces espèces dans un environnement naturel et d'observer leur comportement. Pour la colombe voyageuse, on parle des forêts d’Amérique du Nord. Pour le mammouth laineux, la chose est plus complexe, puisque l’espèce c’est éteinte il y a 10 000 ans. Dans les profondeurs de Sibérie, le scientifique Sergey Zimov, qui collabore avec Revive & Restore, a ainsi créé un "Parc du Pléistocène" qui accueille toute sorte de scientifiques. L'objectif du site est de restaurer des paysages et écosystèmes évoquant autant que possible ceux de la dernière période glaciaire.

Clonage thérapeutique et élevage sélectif

Malgré son statut à part, Revive & Restore n’est pas la seule organisation à s’être lancée dans la dé-extinction. D’autres chercheurs, à travers le monde, travaillent sur l’ingénierie génétique ou utilisent d’autres méthodes pour faire revivre à la surface de la planète des espèces éteintes.

On peut notamment citer le Lazarus Project, lancé par le zoologiste australien Michael Archer, qui avait fait la une des journaux en 2013 et prône la technique du clonage sélectif, assez similaire au principe de croisement d’une espèce éteinte avec une espèce vivante. Les chercheurs souhaitent ramener à la vie la Rheobatrachus silus, une espèce de grenouille, en transférant ses noyaux de cellules mortes vers les œufs d’une autre espèce de grenouille. Aucun des embryons clonés n’a survécu plus de quelques jours, mais les recherches se poursuivent et les chercheurs souhaitent même s’attaquer au tigre de Tasmanie.

La troisième méthode est dans un registre plus différent. Il s’agit là de faire de l’élevage sélectif. Pour favoriser la reproduction d’individus, dans une espèce donnée, porteurs du matériel génétique d’une espèce éteinte. Depuis 1987, le Quagga Project a par exemple permis de faire "revivre" une espèce de zèbres disparue en Afrique du Sud à la fin du XIXe siècle. Les zèbres quagga ont la particularité d’avoir une partie du dos sans rayure. Les scientifiques font se reproduire des zèbres des plaines moins rayés que les autres pour concentrer les gènes issus des quaggas. La cinquième génération de ceux qui ont été nommés "quaggas de Rau" pour les distinguer de leurs ancêtres est en tout point semblable à leurs précurseurs. En Europe, l’organisation Rewilding Europe essaie de faire revivre les aurochs, une espèce de bovidés disparue au XVIIe siècle, par des moyens similaires.

Pourquoi ne pas prendre soin des espèces vivantes avant de s'occuper de celles éteintes ?

Verrons-nous un jour des mammouths laineux hybrides peupler les plaines de Sibérie ? Des colombes voyageuses dans les forêts d’Amérique du Nord ? "Désormais, plus personne ne dit que c’est impossible. La question est simplement de savoir comment et quand nous y arriverons", affirme forcément Ben Novak, passionné et sûr de son fait. 

En écrivant cet article, nous avons cherché à contacter des spécialistes de la paléogénomique. C’est la discipline scientifique à l’origine de l’étude de l’ADN ancien, celle qui nous a appris à lire des séquences génomiques d’espèces éteintes, voire même de les modifier. Cette science née au début des années 1980 est une véritable révolution pour l’archéologie ou la paléontologie. C’est grâce aux évolutions de la paléogénomique que des projets comme l’édition génomique de la colombe voyageuse ont pu voir le jour.

La plupart des spécialistes français contactés portent un regard critique et sceptique sur les recherches menés en dé-extinction. "J’ai beaucoup de mal à me prononcer sur le sujet. Cela dépend tellement des avancées technologiques. Je ne peux pas dire que nous ne pourrons jamais le faire, alors qu’il y a un certain moment je l’aurais dit. Il faut être pragmatique et les technologies peuvent changer", avance timidement Catherine Hanni, pionnière de la paléogénomique en France à l’origine de nombreuses découvertes. Beaucoup d’autres ont refusé de s’exprimer sur le sujet.

Par ailleurs, les critiques portées à l’encontre du mouvement de la dé-extinction sont aussi d’ordre éthique. Pourquoi avoir choisi le mammouth laineux ou la colombe voyageuse, plutôt qu’une autre espèce ? Pourquoi s’acharner à faire revivre des animaux éteints alors que de nombreuses espèces vivantes sont encore en danger ? Ben Novak assure que les deux objectifs – la préservation et la conservation – ne sont pas incompatibles. Voire même qu’ils sont complémentaires.

Face aux critiques, Revive & Restore a inlassablement le même discours : c’est l’impact environnemental positif qui mène ses choix. Selon ses chercheurs, les troupeaux de mammouths en Sibérie permettront de lutter contre le réchauffement climatique en piétinant la neige, ce qui aura pour effet d'empêcher la libération du gaz à effet de serre retenu dans le permafrost. Les colombes contribueront quant à elles au repeuplement animalier des forêts américaines, comme l’explique en détail le site de la fondation.

Beth Shapiro, chercheuse au laboratoire de paléogénomique de l’université de Californie à Santa Cruz, ancienne membre de Revive & Restore, a récemment écrit l’ouvrage "How to clone a mammoth, the science of de-extinction". Elle y est très critique vis-à-vis de ces recherches, affirmant que le choix du mammouth est guidé par son côté spectaculaire et financier, tandis que Stewart Brand a embauché Ben Novak pour les colombes voyageuses parce que l’animal est un symbole de l’Amérique.

La dé-extinction pose d’autres objections, comme le soulignaient Jacob Sherkow et Heny Greely, deux chercheurs de l’université Stanford, dans un article publié dans la revue Science en 2013, repris par Le Monde. Ils s’interrogent sur le bien-être animal, notamment concernant les risques de souffrance avec le clonage thérapeutique. Il y a également le risque sanitaire. Et si les colombes voyageuses se révélaient être des vecteurs de pathogènes ? Et si ces animaux "hybrides" pouvaient être brevetés par leurs créateurs, comment les choses se passeraient-elles d’un point de vue légal ?

Les débats sur la dé-extinction se multiplient à mesure que la science avance et que le retour des colombes voyageuses entre dans le domaine du possible.

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