Accéder au contenu principal
SYRIE

Qui sont ces enfants "journalistes" qui couvrent la guerre dans la Ghouta ?

De gauche à droite et de haut en bas : capture d'écran de vidéos postées sur Twitter et où l'on voit Mohammad, les sœurs Noor et Alaa, Sham et sa sœur Rafida, parler des bombardements dans la Ghouta orientale.
De gauche à droite et de haut en bas : capture d'écran de vidéos postées sur Twitter et où l'on voit Mohammad, les sœurs Noor et Alaa, Sham et sa sœur Rafida, parler des bombardements dans la Ghouta orientale.
Publicité

Ils s‘appellent Muhammad, Noor, Alaa, Sham ou encore Rafida. Ce sont des enfants dont certains sont âgés d’à peine 8 ans. Et depuis quelques semaines, ils postent régulièrement des vidéos sur Twitter où ils racontent, en langue anglaise, leur quotidien sous les bombes du régime syrien et son allié russe dans l’enclave rebelle de la Ghouta orientale, près de Damas. Relayés des milliers de fois sur Twitter, repris par les médias occidentaux, leurs messages ont suscité une vague de témoignages de sympathie sur les réseaux sociaux, mais également des critiques, certains accusant leurs parents de les instrumentaliser à des fins de propagande.

Les vidéos de ces enfants-reporters ne sont pas sans rappeler la démarche de Bana Alabed. Cette petite fille de 7 ans est devenue célèbre après avoir posté, avec l’aide de sa mère, des vidéos en anglais pour témoigner des atrocités commises par le régime syrien contre les civils lors de la bataille d’Alep, entre novembre et décembre 2016. Après la reprise de la ville par le régime syrien le 19 décembre, Bana avait été évacuée avec sa famille vers la Turquie, où elle vit encore aujourd’hui. Devenue une véritable icône, elle a été reçue par le président turc Recep Tayyip Erdogan dans son palais d’Ankara fin décembre 2016.

 "Je veux devenir journaliste comme mon grand frère"

Depuis, plusieurs enfants dans la Ghouta ont donc emboîté le pas à Bana Alabed.

Un adolescent de 15 ans, Muhammad Najem, a émergé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux avec des vidéos filmées notamment en mode selfie. Celles-ci ont été reprises par plusieurs médias internationaux, comme CNN et The Guardian. Contacté par France 24, il affirme vouloir devenir reporter, comme son frère.

C'est mon grand frère Qussay qui m'a inspiré pour faire ces vidéos. Il travaille depuis 6 ans comme journaliste dans la Ghouta. Je voulais faire comme lui. Il ne m'a pas encouragé au début, mais j'ai insisté. C'est lui qui m'aide pour que je puisse m'exprimer en anglais. Souvent, il me filme puis envoie les vidéos aux chaînes de télévision. Ces vidéos ont bien fonctionné, du fait que je parle en anglais

.

Dans cette vidéo, Muhammad Najem s'entretient avec un autre enfant, Salim. Ce dernier  affirme que sa petite sœur de 9 ans, Raghda, est décédée après qu'un missile s'est abattu sur sa maison. 

Noor, Alaa et la théorie de la "manipulation"

Les sœurs Noor et Alaa sont beaucoup plus jeunes, elles sont âgées de 8 et 10 ans. Leurs vidéos, où on les voit tantôt interviewer des enfants abrités dans un sous-sol, tantôt interroger un commerçant devant ses étals dégarnis, ou encore en train de parler, en tremblant, de la poursuite des frappes aériennes malgré l'annonce d'un cessez-le-feu, sont vues des dizaines de milliers de fois.

Dans cette vidéo, Noor interroge des enfants réfugiés dans un sous-sol, qui lui expliquent qu'ils souhaiteraient pouvoir se rendre à l'école, manger, boire et jouer comme tous les autres enfants dans le monde.

Dans cette vidéo, Noor interroge un commerçant qui lui explique que son magasin a été touché dans un bombardement, et qu'à cause du siège imposé par le régime, il ne lui reste plus rien à vendre.

Dans cette vidéo, entourée d'enfants, Noor interpelle directement l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Nikki Haley. "Chère ambassadrice, dit-elle, nous souffrons d'être confrontés à la mort chaque minute. Vous êtes la seule qui peut nous aider".

Malgré leur jeune âge, les deux filles donnent l'impression d'une maîtrise remarquable des codes des réseaux sociaux. De quoi donner du grain à moudre à certains médias pro-Assad, qui accusent régulièrement les groupes jihadistes de la Ghouta orientale d'instrumentaliser ces enfants pour "manipuler" l'opinion publique. Contactée par France 24, la mère de Noor et Alaa, Sham Alkhateeb, explique que c'est elle qui gère leur compte Twitter, et affirme que cela n'enlève rien à l'authenticité des informations qu'elle fournit.

"Nous voulons influencer l'opinion internationale, au-delà du monde arabe"

Nous sommes assiégés, bombardés et affamés depuis 7 ans dans la Ghouta orientale, et les pays arabes n'ont rien fait pour nous pendant tout ce temps. Je me suis dit qu'il valait mieux s'adresser à l'opinion publique internationale, au-delà du monde arabe. Je pense que les Occidentaux sont davantage susceptibles d'influencer leurs gouvernements afin que ces derniers interviennent pour faire cesser la guerre. Institutrice, j'ai enseigné pendant un an dans une école primaire avant la révolution, notamment l'anglais. Il y a quelques mois, j'ai donc décidé d'apprendre cette langue à mes filles, et je leur ai ouvert un compte Twitter. Je leur donne des cours tous les jours. Je leur ai appris les bases de la langue, suffisamment pour qu'elles puissent témoigner du calvaire des enfants de la Ghouta.

Si j'ai décidé de faire témoigner mes enfants au lieu que ce soit moi ou un autre adulte de la famille, c'est parce que les enfants suscitent beaucoup plus la sympathie que les adultes, et sont donc susceptibles d'avoir plus d'influence. En faisant cela, je ne les expose pas à un danger particulier. Comme tous les habitants de la Ghouta, elles sont déjà en danger, partout et en permanence [Le 22 février dernier, la fille cadette de Shams, Alaa, a été blessée au visage dans un bombardement, alors qu’elle se trouvait à son domicile]. Vous ne savez jamais où le prochain missile va tomber, et l'aviation du régime syrien et de la Russie ne font pas de distinction, rues, hôpitaux, maisons, etc. Quoi qu'il arrive, j'accompagne mes filles partout, je ne les quitte jamais.

"Je n'ai jamais vu la mère de Bana Alabed forcer sa fille, ou la malmener"

Quand elle postait les vidéos de sa fille depuis Alep fin 2016, la mère de Bana Alabed, Fatemah Alabed, avait elle aussi été accusée de l’utiliser pour faire de la propagande de guerre.

Peggy Bruguière, journaliste indépendante, l'a côtoyée pendant plusieurs mois à Ankara où elle vit, entre janvier et mars 2017. Elle témoigne :

Bana, c’est aujourd’hui une icône, comme l'est la militante des droits des femmes Malala Yousafzai, au Pakistan. Son nom est cité dans les conférences de l'ONU et sur Twitter, elle échange des messages avec les puissants de ce monde, comme le président français Emmanuel Macron, le représentant permanent de l'Italie à l'ONU, Sebastiano Cardi. Le 4 mars dernier, elle a même été invitée à la cérémonie des Oscar pour parler de la situation en Syrie.

Quand j'ai fréquenté la famille en Turquie, j'ai vu de près comment ces tweets sont élaborés. Bana est une fille très intelligente, mais ça reste une petite fille qui veut s’habiller en rose et jouer à la poupée. C’est bien évidemment Fatemah qui écrit ces tweets, dicte et corrige les lettres que Bana envoie aux leaders du monde pour leur demander d'agir afin que cesse la guerre en Syrie. D'ailleurs, elle le reconnaît : sur la présentation du compte de Bana, on lit : "compte tenu par maman". Et par ailleurs, je n'ai jamais vu Fatemah forcer sa fille à jouer un rôle ou à adopter telle ou telle posture pour une photo, ou bien la malmener.

Depuis le lancement d'une offensive sur le fief rebelle de la Ghouta orientale par le régime syrien et l'aviation russe le 18 février, plus de 900 civils ont été tués, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), parmi eux 188 enfants.

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.