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ÉTATS-UNIS

Charlottesville marque-t-elle la limite de la liberté d’expression pour l’extrême droite américaine ?

Aux États-Unis, le débat sur la liberté d’expression fait rage. À la suite des récents rassemblements de suprématistes blancs, quelles sont les limites du premier amendement pour ceux qui diffusent leur haine ?

Des manifestants antiracistes à Charlottesville, dans l'est des États-Unis, le 13 août 2017.
Des manifestants antiracistes à Charlottesville, dans l'est des États-Unis, le 13 août 2017. Chip Somodevilla / Getty Images North America / AFP
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Dans la foulée de la polémique concernant les violents incidents de Charlottesville et la réaction plus que timorée du président Donald Trump, un autre débat enflamme les États-Unis : doit-on bannir les idées suprématistes blanches d’Internet ?

Après publication d’un article se moquant d’une jeune femme tuée par un sympathisant néo-nazi lors des violences de Charlottesville, le Daily Stormer, site très prisé par la sphère raciste, antisémiste et suprémaciste américaine, s’est vu signifier le 15 août son exclusion par son fournisseur de nom de domaine, GoDaddy. Le site a donc tenté de migrer vers le service de Google, Google Domains, qui l’a à son tour débouté. CloudFlare, un fournisseur russe et enfin NameCheap lui ont également tourné le dos avant que son fondateur, Andrew Anglin, se résolve à plonger dans le "dark Web", la strate de la toile inaccessible via les moteurs de recherche, pour laquelle l’internaute n’a d’autre choix que de passer par le réseau Tor.

Pillier de la liberté

Une telle censure sur Internet, est-elle possible ? La question se pose aux États-Unis avec d’autant plus d’acuité que la liberté d’expression, garantie par le premier article de la Constitution, constitue un élément fondateur de l’identité américaine.

L’Electronic Frontier Foundation (EFF), groupe de réflexion spécialisé dans les droits civiques à l'ère numérique, sorte d’équivalent américain de l’association la Quadrature du Net, en France, a rapidement pris la défense du Daily Stormer, dès le 17 août.

Outre le fait qu’exercer une telle censure établisse un dangereux précédent – "Nous devons être conscients que sur Internet, n’importe quelle technique utilisée pour réduire au silence des néo-nazis sera vite utilisée contre d’autres" – l’EFF estime ainsi que les fournisseurs de noms de domaine ne sont pas les mieux placés pour choisir qui peut exister sur la toile et qui ne le peut pas. "Nous défendons le droit, pour tous, de choisir quel discours ils diffusent en ligne ; les plate-formes bénéficient elles aussi du Premier amendement et décident quel discours peut ou ne peut pas apparaître sur leur plate-forme. (…) Mais tout comme le vendeur d’encre ou d’électricité vis-à-vis du polémiste, les entreprises qui vendent des noms de domaine n’ont, elles, pas de lien direct au contenu d’Internet [contrairement aux hébergeurs, NDLR]", écrit ainsi l’EFF.

L’arbitraire de leur démarche

Certains dirigeants des entreprises ayant mis au ban le Daily Stormer ont d’ailleurs reconnu l’arbitraire de leur démarche. Le PDG de Cloudflare, – Matthew Prince, a ainsi ressenti le besoin d’expliquer sa décision à ses employés dans une lettre rendue publique par le site spécialisé dans les nouvelles technologies, Gizmodo : "Nos conditions d’utilisation nous réservent le droit de mettre fin à notre collaboration avec des clients quand bon nous semble. [Pour le Daily Stormer], mes raisons étaient simples : ces gens sont des cons et j’en avais assez. (…) Soyons clairs : c’est une décision arbitraire. (…) Je me suis littéralement réveillé de mauvaise humeur et j’ai décidé que quelqu’un devrait être interdit d'accès à Internet. Personne ne devrait avoir ce pouvoir", conclut-il, lucide.

Beaucoup des entreprises ayant participé à la curée ont par ailleurs été fondées sur des principes de liberté, des idées peu compatibles avec leurs décisions vis-à-vis du Daily Stormer, note le site américain d’analyse politique The Hill. À l’image de Twitter, qui se présentait en 2011 comme "la branche liberté d’expression du parti liberté d’expression", et qui a supprimé voilà quelques jours les comptes appartenant au site incriminé. "Nous ne sommes pas toujours d’accord avec les choses que les gens choisissent de tweeter mais nous laissons le flot d’information s’écouler indépendamment de notre avis sur la question", écrivait pourtant le cofondateur du site de microblogging, Biz Stone, toujours en 2011.

L’apologie du meurtre, voire l’appel au meurtre, que certains ont vue dans l’article incriminé du Daily Stormer, constitue un délit dans beaucoup de pays. Y réagir semble donc indispensable. Mais si Google, Twitter et autres mastodontes du numérique ont cette fois pris les devants (Facebook a par exemple supprimé les liens renvoyant à l’article), ce n’est pas tant pour des questions légales que morales.

En témoigne l’explication du patron de Cloudflare, qui a ouvertement joué du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les conditions d’utilisation. Globalement, peu d’entreprises concernées ont mis en avant des questions juridiques pour justifier les sanctions prises. Seul le PDG de NameCheap a indiqué avoir "considéré les faits d’un point de vue constitutionnel et adopté une perspective juridique. Twitter, quant à lui, a invoqué un défaut de respect des conditions d’utilisation.

Une décision surtout morale

Pour les autres, pas besoin de se justifier autrement que sur le plan moral. Discord a ainsi expliqué dans un tweet, intitulé "De l’amour. Pas de la haine." que l’application "continuera[it] d’agir contre les suprémacistes blancs, l’idéologie nazie et toutes les formes de haine". Un crédo plus qu’une posture strictement juridique, donc.

Par ailleurs, la majorité des Américains désapprouvent les événements survenus à Charlottesville et loués par le Daily Stormer. Selon un sondage Yougov pour le Huffington Post, 61 % des Américains sont "en colère" vis-à-vis du violent rassemblement suprémaciste blanc de Charlottesville, contre 18 % qui ne le sont pas. Certains sympathisants de l’alt-right, l’extrême droite américaine, ont d’ailleurs pris une certaine distance avec les événements. L’administrateur d’un canal de l’application de chat Discord, impliqué dans l’organisation du rassemblement qui a ensuite mal tourné, a expliqué au site Motherboard : "De mon point de vue, cette action [foncer dans la foule des contre-manifestants antiracistes, NDLR] correspond à un meurtre ou à une tentative de meurtre. (…) Nous sommes fermement opposés à ce type d’action."

C’est d’ailleurs l’un des principaux regrets de l’EFF, qui souligne que "dans leur désir de promptement se distancier des néo-nazis américains, GoDaddy et Google [entre autres] n’ont suivi aucune procédure. (…) Les règles encadrent les réactions possibles et donnent l’opportunité de voir la justice appliquée. Nous devrions y réfléchir à deux fois avant de passer outre."

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