Alaa a décroché son bac S avec mention "très bien", cette année. Crédit : Charlotte Boitiaux
Alaa a décroché son bac S avec mention "très bien", cette année. Crédit : Charlotte Boitiaux

Il y a trois ans, il ne parlait pas un mot de français. Alaa Hossam Eddine, réfugié syrien de 19 ans, vient de décrocher, cette année, son bac S avec une moyenne générale de 17/20, au Havre, sa ville d’accueil. Portrait d’un étudiant qui se dit "l’une des personnes les plus chanceuses de la planète".

Ses notes sont presque insolentes : 18/20 en sciences et vie de la Terre, 20/20 en option anglais, 20/20 en option sciences naturelles, 15/20 en physique-chimie.... Alaa Hossam Eddine, jeune réfugié syrien, résidant au Havre, en Normandie, a décroché la prestigieuse mention très bien au bac série scientifique cette année. Une récompense d'autant plus appréciée - et admirable - que le garçon âgé de 19 ans, ne parlait pas un mot de français il y a encore trois ans.

Alaa n’est pas peu fier. Avec 16,97 de moyenne générale, il a obtenu le meilleur résultat de son lycée havrais Porte-Océane. "C’est super, dit-il à voix basse, mais en même temps, il n'y avait qu'une classe S", précise-t-il, modeste. Seule ombre au tableau : son résultat en mathématiques. "J'ai eu une note honteuse", répètera-t-il au cours de l’entretien. Alaa a obtenu 14 en maths. "Mais toute l’année, j’avais eu 17. C’est à cause d’un exercice dont je ne comprenais pas bien l’intitulé". On aura du mal à le plaindre.

Comme nombre d'heureux bacheliers de son âge, Alaa a fêté la fin des cours et le début de sa vie estudiantine en partant en vacances avec des amis. Ce 18 juillet, il revient tout juste d’Italie. Alaa est heureux, grisé même, par sa performance scolaire d’une part, mais aussi par les sollicitations des médias - qui lui courent après pour raconter son incroyable parcours. A la rédaction d’InfoMigrants, son portable se promène dans les couloirs. Il prend quelques selfies, les envoie sur Snapchat, et publie des infos sur son compte Facebook "dans peu de temps, je passe à la télé sur France 24".

Les notes obtenues par Alaa au bac. Crédit : InfoMigrants

"On se cachait, on passait d’appartement en appartement"

Puis, soudainement, son visage se referme légèrement. "Je ne sais pas si je mérite tout ça", précise-t-il,. Avec Alaa, la culpabilité n'est jamais loin. "Ma vie est si belle", confie-t-il, quand celles de tant de ses concitoyens ne connaissent que la guerre, la misère des camps de réfugiés du Moyen-Orient ou les trottoirs des capitales européennes.

Alaa n'a pas subi les traversées trop souvent mortelles en Méditerranée. Il n'a pas non plus connu les campements insalubres. "Pour tout ça, je suis l’une des personnes les plus chanceuses de la planète", précise-t-il. "J'ai quitté la Syrie en avril 2013 pour partir au Liban en 2014. Puis un petit miracle est arrivé : l'ONU nous a choisis dans le cadre de son programme de réinstallation. Nous avons été envoyés au Havre".

Pourtant, son trajet n’a pas été exempt de douleur et d’angoisse. Avant l’exil, le jeune garçon a déménagé cinq fois en Syrie. "Par précaution", explique-t-il. "Mon père avait peur que le régime nous recherche à cause d’un oncle qui avait un poste très important dans un ministère et qui a fait défection. On se cachait, on passait d’appartement en appartement à Damas". Puis un jour, fatiguée, la famille décide de partir au Liban.

"Je me sentais comme mort"

Pour Alaa, aîné des trois garçons de la famille, le plus dur fut l’arrêt de la scolarité. "En Syrie, faire des études, c’est très important, c’est sacré. Quand on est parti, j’avais 14 ans, je devais passer mon brevet, je n’ai pas pu". L’école devient alors une obsession sur la route migratoire. "Au Liban, c’était compliqué. Il y avait des écoles spéciales pour les réfugiés syriens mais aucun diplôme n’était reconnu. Je passais des examens, ils ne valaient rien. Je me sentais comme mort."

Quand l’UNHCR décide de réinstaller sa famille en Europe, Alaa exulte. "Au début, j’ai cru qu’on irait en Australie, puis finalement on nous a dit qu’on partirait en France. J’étais hyper heureux. Le mot ‘France’ rimait avec ‘études’ pour moi". La famille atterrit au Havre, en avril 2014. Alaa va avoir 16 ans, il ne parle pas un mot de la langue de son pays d’accueil – je ne savais même pas dire "au revoir", dit-il en riant.

Le Français devient rapidement sa seconde obsession : "J’avais deux buts dans la vie : apprendre la langue et faire médecine. Pour faire médecine, je devais savoir parler votre langue. Voilà comment je me suis motivé". Naturellement doué pour les études, Alaa apprend vite, très vite. Il passe 18 heures par semaine en cours de français. Télécharge des applications sur son téléphone pour compléter son apprentissage : "Duolingo", "Français facile"... Il découvre aussi Le Havre qu’il "aime beaucoup", les gens "hyper accueillants". "Mais c’est très différent de Damas. Là-bas, il y a de la vie 24h/24h, ici, en hiver, à 19h, il n’y a plus personne dans les rues…"

"Fabriquer la vie"

En septembre 2014, cinq mois après son arrivée, il maîtrise suffisamment les bases de la langue de Molière pour sa rentrée scolaire. Au Lycée Porte-Océane, au Havre, l’intégration se passe bien. "Le premier jour de classe, je traînais dans un couloir. Un groupe de 5 personnes s’est approché de moi, 4 filles et 1 garçon : Marion, Noémie, Morgane, Amandine et Yann. Je me suis présenté avec des mots simples. Ils m’ont dit qu’on partageait le même cours de théâtre. Et voilà, aujourd’hui, ils font partie de mes meilleurs amis".

Au lycée, tout le monde prend soin du jeune réfugié. Ses professeurs l’aident bénévolement, après les heures de classe, son proviseur supervise ses progrès. "Mon prof d’histoire m’a même tapé des cours et les a imprimés parce que je ne comprenais pas quand il parlait et quand il écrivait au tableau…", explique-t-il en souriant. Ses capacités impressionnent ses camarades. Le soutien scolaire devient vite réciproque "Les matières scientifiques étaient plutôt simples pour moi. Je connaissais déjà les programmes, je les avais étudiés en 5e, 4e et 3e en Syrie… Les autres m’aidaient dans les matières littéraires, je les aidais en sciences, je donnais surtout des coups de main en maths…" Sa moyenne générale ne cesse de monter. "A la fin de ma seconde, j’avais 17 de moyenne en SVT et physique".

Quand il évoque son avenir, Alaa paraît serein. "Je veux faire médecine... Comme tous les Syriens !", plaisante-t-il. Il commencera sa première année à l’Université de Rouen (dont il existe une annexe au Havre), en septembre, mais dit encore hésiter sur sa spécialisation future, "ophtalmo ou chirurgien". Une chose est sûre, conclut-il : "J’aiderai comme on m’a aidé. La France m’a beaucoup donné et j’aimerais le lui rendre […] Je voudrais travailler dans des ONG, aussi. Jusqu’ici, en fait, j’ai vu beaucoup de gens qui fabriquaient la mort. Et moi, maintenant que je vais bien, j’ai envie de fabriquer de la vie".



 

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