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Découvertes

2017, l'année où les politiques ont oublié le sens de l'expression "tenir parole"

Jamais on avait vu autant de revirements, de fausses promesses et de retournements de veste au cours d'une campagne présidentielle en France.

François Pauletto/Bernard Menigault/Corbis via Getty Images
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"Paroles, et paroles, et paroles", dit la chanson. En amour les promesses n’engagent souvent que ceux qui les écoutent, et en politique aussi.

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Et c’est particulièrement vrai de cette campagne présidentielle 2017, où les revirements et changements de cap pullulent.

Les engagements de la Belle alliance populaire, envolés

Dans le cimetière des belles paroles, il y a d’abord les revirements dûs aux primaires. À gauche comme à droite, les candidats devaient s’engager à soutenir le vainqueur. À droite, la situation est un peu particulière depuis l’annonce de la mise en examen de François Fillon. Mais à gauche, quelles excuses ? Moins d’un mois après la victoire de Benoît Hamon, François de Rugy annonce qu’il se rallie à Emmanuel Macron. Le candidat écolo de la primaire, qui a recueilli 3,83 % au premier tour, avait pourtant fait l’éloge du "rassemblement" avant les débats. Il a finalement invoqué le fait que Benoît Hamon a choisi de rechercher "un accord de gouvernement avec Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon" pour se défaire de son serment.

Un scénario similaire semble se dessiner pour Manuel Valls. L’ancien Premier ministre qui s’était fait discret après son échec a critiqué mardi 14 mars, devant 300 personnes, une "dérive" empreinte d'une "forme de sectarisme" de la part de Benoît Hamon. Il a annoncé qu’il n’accorderait pas son parrainage au vainqueur de la primaire: "Je ne parrainerai personne et je n'ai aucune leçon de responsabilité ou de loyauté à recevoir". Ce à quoi Benoît Hamon a rétorqué : "Moi, je ne me sens pas trahi, mais sans doute les électeurs de la primaire se sentent-ils aujourd'hui trahis."

Des sources concordantes ont indiqué au journal Le Parisien que Manuel Valls s'apprêterait à soutenir l’ancien ministre de l’Économie. L’intéressé a démenti, mais à tout le moins, on peut dire qu’il ne fait pas preuve d’un soutien sans faille, comme l’y obligeait pourtant le texte qu’il a signé : "Je m’engage à soutenir publiquement le-la candidat-e qui sera désigné-e à l’issue des élections des Primaires citoyennes et à m’engager dans sa campagne."

Les volte-face de Bruno Le Maire

À droite, la charte des primaires obligeait aussi les candidats à "soutenir publiquement" le vainqueur de la primaire et à "prendre part à sa campagne". Bruno Le Maire, qui voulait mettre en avant une image de candidat du "renouveau" face à "l’ancien régime" représenté selon lui par Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, était visiblement gêné par cette promesse. "Que les choses soient claires, pas de ralliement à personne, liberté totale", avait affirmé le député de l'Eure. Enfin gêné… jusqu’à ce qu’il perde, puisque ce parjure très tactique a très vite été suivi d’un retour dans les rangs, Bruno Le Maire rejoignant François Fillon dès le soir de sa victoire.

Depuis sa mise en examen, Bruno Le Maire a à nouveau renoncé à le soutenir, avançant une raison qui ne sonne du coup plus très juste : "Je crois au respect de la parole donnée. Elle est indispensable à la crédibilité de la politique. Elle est la condition nécessaire pour mener sereinement les efforts de redressement de la France."

"Si ceux-là mêmes qui brandissaient le drapeau du renouvellement des pratiques adoptent les mêmes postures que leurs aînés, cela alimente l’idée que décidément il n’y a rien à en attendre et que ce sont tous les mêmes", commente le politologue Jérôme Fourquet, qui dirige le département "Opinion & stratégies d'entreprise" de l'Ifop.

La promesse de Fillon, le mensonge dans le mensonge

Au milieu de ces retournements de veste, une autre histoire de mensonges vient entacher la parole politique. C’est bien sûr l’affaire Fillon, soupçonné d’avoir rémunéré son épouse sans travail véritable. Admettons qu’il soit blanchi, il n’en resterait pas moins qu’il a manqué à sa parole de se démettre en cas de mise en examen, vertement lancée pendant les primaires pour se démarquer de son concurrent Nicolas Sarkozy, sur lequel pesaient de multiples affaires et qui était sous le coup de deux mises en examen.

"Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ?"

On se souvient de la phrase qu’avait lancée François Fillon, et qui aujourd’hui se retourne comme un boomerang contre lui : "Il ne sert à rien de parler d'autorité quand on n'est pas soi-même irréprochable. Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ?". La suite de son discours, prononcée en août 2016, est à l’avenant : "Avoir une haute idée de la politique signifie que ceux qui briguent la confiance des Français doivent en être digne. Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs", clamait le député de la Sarthe. Depuis, il ne se passe quasiment pas un seul jour sans qu’on ne lui ressorte ce discours ou un autre où il en appelle à l’intégrité, ou qu’on ne retweete ce message :

Le classique des alliances qui défont les promesses et des revirements programmatiques

D’autres changements de cap sont plus banals, comme celui qui consiste à se rallier à un candidat alors qu’on avait promis qu’on irait jusqu’au bout… C’est ce qui s’est passé pour l’écolo Yannick Jadot, qui s’est retiré au profit de Benoît Hamon. Pourtant, le secrétaire national d’EELV David Cormand avait affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y aurait aucun ralliement, en novembre puis en février.

Sans surprise non plus, plusieurs candidats ont dû revoir leur copie au cours de la campagne. Le revenu universel de Benoît Hamon est désormais dégressif, réservé aux personnes gagnant moins de 1,9 smic et plafonné à 600 euros, au lieu de 750 euros. François Fillon est lui aussi revenu en partie sur son programme santé. Il est désormais exclu de "focaliser l’assurance publique universelle sur des affections graves ou de longue durée, et l’assurance privée sur le reste".

Et Marine Le Pen met en avant désormais, au côté du rétablissement d'une monnaie nationale type franc, la proposition d'une monnaie commune. Elle a donc largement lissé ses positions sur le sujet, tout comme Emmanuel Macron sur les 35 heures.

Une accumulation qui produit un effet général de décrédibilisation

En matière de promesses non tenues, il y a bien sûr des précédents. En 1995, Jacques Chirac avait fait campagne sur le thème de la "fracture sociale", mais la fracture fut jugée si peu réduite que la gauche remporta les élections qui suivirent la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997. Nicolas Sarkozy avait promis d’être le candidat du "pouvoir d’achat", avant d’avouer, en novembre 2008, que les "caisses sont vides". François Hollande avait tonné en 2012 contre son "ennemi, la finance", avant d’appliquer l’un des programmes les plus "pro-business" de l’histoire de la gauche de gouvernement, avec le crédit d'impôt aux entreprises et la loi Macron.

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C’est toute la parole politique qui ne vaut plus rien

"Les propos tenus perdent toute valeur"

Mais ce qui paraît nouveau ici, c’est que les promesses ne sont pas revues et corrigées après la campagne, mais au cours même de la campagne. Et que les fausses promesses ne concernent pas seulement le programme, mais tout un tas d’autres paroles, donnant une impression générale que c’est toute la parole politique qui ne vaut plus rien. "Hamon a amendé son revenu universel, il met un peu d’eau dans son vin, ça c’est vieux comme la politique et ça peut se défendre dans certaines limites, mais dans le cas Fillon et des primaires, c’est plus frappant, et ce n’est pas de même nature, il s’agit là de stratégies purement individuelles. Les propos tenus perdent toute valeur. Cela produit de l’abstention, du désintérêt. Les gens zappent quand ils voient un candidat sur écran, ils se disent qu’ils n’ont pas de temps à perdre", analyse Jérôme Fourquet.

Ce qui fait qu’on assiste bien, pour le politologue, à un stade supplémentaire de la démonétisation de la parole politique, d’autant que notre perception est aiguisée par ce que l’on constate de l’autre côté de l’Atlantique, avec les mensonges à répétition du président américain.

"Les mots, les phrases, n'ont plus aucun sens. L'absurdité envahit le discours politique. Tout est possible. Chacun peut proférer absolument n'importe quoi, les pires contradictions, les plus évidentes débilités, sans soulever la moindre réaction. Mais de qui se moque-t-on ?", constatait récemment le politologue Maxime Tandonnet. Alors oui, 2017 est bien de ce point de vue une campagne particulière, où la parole politique meurt aussitôt ou presque après avoir été donnée.

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