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CENTENAIRE 14-18

Centenaire de la révolution de février : "Une explosion démocratique en Russie"

Il y a 100 ans débutait la révolution de février en Russie. En cinq jours, le tsar était renversé. L’historien Alexandre Sumpf explique le déroulement de ces journées et comment elles sont aujourd'hui perçues dans le pays.

Des manifestants défilent dans les rues de Pétrograd (actuel Saint-Pétersbourg) derrière une banderole réclamant le droit de vote aux femmes, en février 1917.
Des manifestants défilent dans les rues de Pétrograd (actuel Saint-Pétersbourg) derrière une banderole réclamant le droit de vote aux femmes, en février 1917. TASS, AFP
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Le 23 février 1917 (le 8 mars selon le calendrier grégorien) débute une vague révolutionnaire à Petrograd, aujourd’hui Saint-Pétersbourg. Alors que le pays participe depuis presque trois ans à la Première Guerre mondiale, une révolte populaire éclate. En cinq jours, elle balaye le pouvoir du tsar Nicolas II et le contraint à abdiquer. L’historien Alexandre Sumpf, auteur de "La Grande Guerre oubliée, 1914-1918", revient pour France 24 sur ces événements, qui ont marqué la Russie et le reste du monde, ainsi que sur leur place aujourd’hui dans le pays.

En ce début d’année 1917, quelle était la situation de l’Empire russe ?
Alexandre Sumpf : La situation n’était pas très brillante. Il y avait eu une série de défaites militaires à cause de la Première Guerre mondiale, l’occupation par les armées étrangères des marges occidentales de l’Empire, fleurons de l’agriculture et de l’industrie, la remise en cause de l’autorité du tsar Nicolas II, une valse des ministres, qui avait affaibli le gouvernement, des problèmes d’approvisionnement et une mauvaise récolte en 1916. C’est ce tableau assez complexe qui explique la révolution de 1917. La guerre a donné l’occasion à la société civile de s’auto-organiser et de se substituer à l’État dans un certain nombre de compétences, notamment pour le secours aux réfugiés, aux malades ou aux femmes de soldats. Cela a permis de structurer une autre manière de concevoir la société et de légitimer les revendications de l’opposition politique notamment libérale et la remise en cause de l’autocratie. La guerre place la Russie au bord du gouffre. Pour reprendre la fameuse expression de Lénine, la guerre "catalyseur de l’Histoire".

Historial de Péronne / AFP

Comment se déroulent ces journées révolutionnaires qui ont pour point de départ une manifestation de femmes ?
Alexandre Sumpf : Effectivement, la révolution commence par une manifestation, qui n’est pas une grève économique mais une manifestation politique, le 23 février, soit le 8 mars dans notre calendrier [à l'origine de la journée internationale des femmes aujourd'hui, NDLR]. Ce rassemblement d’ouvrières intervient dans un contexte particulier puisque, depuis quelques jours, le rationnement a été établi dans la capitale. Par ailleurs, une partie des ouvriers d’un des grands bastions ouvrier du sud de la capitale, les usines Putilov, sont aussi au chômage technique, faute de matières premières. Ces ouvriers sont désœuvrés et se joignent à la manifestation des femmes. La protestation prend peu à peu de l’ampleur. Dès le 25 février se joignent [au mouvement] des étudiants, des intellectuels, des membres de parti politique, et une grève générale éclate. Le grand tournant se produit lorsque le tsar, qui se trouve à distance auprès de l’état-major, ordonne une répression classique. Il y a plusieurs dizaines, voire centaines de morts, on ne sait pas exactement. Cette répression est celle de trop. Les cosaques, pour une fois, sont réticents et cela met en émoi un certain nombre de soldats. Dans la nuit du 26, des garnisons, sous la conduite de certains officiers un peu politisés, discutent, débattent et se mutinent. Le lendemain, la révolution prend une couleur rouge. À partir du moment, où les soldats sont du côté de la population, qu’ils ouvrent l’arsenal et distribuent largement des armes, le peuple sait qu’il a gagné. Cela aboutit à ce que le tsar comprenne qu’il ne peut plus rester en place et il abdique. Son frère récupère la couronne mais la refuse aussitôt.

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Comment placer cette révolution de février par rapport à celle d’octobre ?
Alexandre Sumpf :
Elle enclenche la démocratisation de la société. Ce qui débouche de ces journées révolutionnaires, c’est qu’il n’y a plus de pouvoir unique. La capitale devient un véritable théâtre politique. Il y a une épidémie de meetings et une explosion démocratique. C’est une période qui se situe entre la révolution spontanée de février et une sorte de coup d’État en octobre. Entre les deux, il y a une véritable découverte de la démocratie avec tous ces aspects positifs, mais aussi toutes les difficultés que cela engendre lorsqu’on cherche à définir le nouveau régime. Où commence la liberté et où s’arrête-t-elle ?

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Cent ans après, que reste-t-il de cette révolution chez les Russes ? Comment vont-ils commémorer ces événements ?
Alexandre Sumpf : Dès le premier anniversaire en 1918, en pleine guerre civile, les Russes ont commencé à commémorer la révolution. Mais aujourd’hui, l’année 1917 pose problème. Pour ce centenaire, les autorités ont institué une commission, qui a mis longtemps à se décider de ne finalement rien décider. Ni février ni octobre ne sera fêté au niveau étatique. Il n’y aura pas de discours officiel ni de jour férié particulier. Il n’y aura pas d’impulsion d’en haut car la matière est trop complexe. Que commémorer ? Qui honorer ? Qui dénigrer ? La révolution a donné d’un côté Lénine et les bolchéviques, qui sont considérés aujourd’hui comme le diable. Mais de l’autre côté, elle a aussi donné Staline, qui, pour les Russes, fait partie de la grande histoire officielle du pays, depuis Ivan le Terrible jusqu’à Vladimir Poutine en passant par Pierre le Grand. C’est finalement une équation impossible. Même les communistes ont renoncé à la révolution depuis 1992. Pour eux, cela appartient à un passé momifié comme Lénine et auquel il ne faut surtout pas toucher. Surtout pas de Maïdan [révolte populare en Ukraine, NDLR] ni de révolution des Roses [en Géorgie]. Ils veulent stabilité, ordre et patrie.

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