Benoît Hamon : cool en amont, stratège en aval
Depuis quelques jours, Benoît Hamon, candidat à la primaire à gauche, semble avoir gagné en sympathie à la faveur de vieux tweets et d'une vidéo datant de 1992.
Publié le :
Certains courent après désespérément, d'autres en sont soudainement auréolés : le cool ne s'invente, ni ne s'improvise. Dur de tricher avec lui. Dur de prétendre en être. Dur de le revendiquer sans avoir l'air immédiatement ridicule, un peu comme ce vieil oncle qui s'avance vers ses neveux en lançant un embarassant "alors les djeun's, on mettrait pas un peu de zikmu lààà ?" à un dîner de famille.
VOIR AUSSI : La "taxe robot" défendue par Benoît Hamon a aussi des partisans à Bruxelles
L'alignement des astres, celui qui conduit vers plus de capital sympathie, semble plutôt se produire à la faveur de quelques instants pas tout à fait décidés en amont, un peu au hasard des retombées médiatiques et des prises de paroles inattendues.
Cela, Benoît Hamon, candidat à la primaire de la gauche, doit en savoir quelque chose : grâce à – entre autres – une vidéo exhumée de l'INA, le député des Yvelines semble jouir depuis quelques jours d'un petit effet de grâce.
Avoir l'air cool pour amadouer les jeunes
Être perçu comme davantage qu'un apparatchik de son parti, avoir le verbe haut sans abuser d'une rhétorique nivelée par le bas ou encore donner l'impression d'être proche du peuple sans verser dans la démagogie : voici quelques uns des objectifs des hommes politiques cherchant à gagner en légitimité.
Mais être cool en politique, voilà sans doute l'ultime Graal – celui qui assure un coupon pour plus de capital sympathie auprès des jeunes et montre que derrière le rigorisme du costard-cravate se cache une personne véritablement aimable.
"Il a un putain de look 'Mec, je suis cold wave, je suis un jeune gens moderne'"
En fait, "avoir l'air sympathique" est un objectif difficilement détaillable en business plan dans un PowerPoint. Un peu comme quand on reproche à un acteur de ne pas assez bien interprêter son rôle car on le "voit jouer", ces parades de communication politique nous agacent. À ce jeu, Nathalie Kosciusko-Morizet s'était d'ailleurs déjà brûlé les ailes : être immortalisée par l'agence Sipa en train de tirer deux ou trois lattes de cigarette, adossée à un mur parisien en compagnie de quelques sans-abris, n'est en rien gage de compréhension des enjeux de l'exclusion sociale.
De plus en plus confrontés à une multitude d'images, émanant de l'industrie publicitaire autant que des cerveaux de spin doctors politiques, nous avons appris à aiguiser notre regard sur la chose visuelle. L'image de la députée de la quatrième circonscription de l'Essonne a voulu nous faire croire quelque chose ; et cette mise en scène-là, le public n'en est plus dupe.
À l'inverse, une vidéo d'archives publiée par l'INA, peut s'avérer être le coup de pouce communicationnel que personne n'avait vu venir. Dans cette séquence, on découvre un jeune Benoît Hamon arborant une coupe de cheveux courte et une veste rouge. En 1992, il s'exprime dans un style assez débonnaire, et tout cas plutôt différent du classicisme de ses concurrents de la primaire à gauche lorsqu'ils étaient jeunes également.
"Si vous votez ce week-end, votez pour qui vous voulez, mais n'oubliez pas qu'un de ces 'ex' jeunes avait quand même un putain de look "Mec, je suis cold wave, je suis un "jeune gens moderne" mon truc c'est "Rue de Siam" de Marquis De Sade et Taxi Girl." Les autres, bon, ils ressemblent déjà à des hommes politiques", lance à ce propos Jean-Vic Chapus. En 2011, l'ancien directeur de la rédaction de VoxPop avait même choisi d'inviter le porte-parole du PS en interview croisée avec le groupe Gang of Four qu'il décrit comme le "patrimoine post-punk britannique".
Quand Mashable FR l'interroge sur ce drôle de mélange de genre, Jean-Vic Chapus raconte : "Ça me faisait marrer d'organiser cette rencontre. J'ai réussi à choper le numéro d'Hamon, j'en ai parlé aux gens de la maison de disques de Gang Of Four. Je leur ai dit 'Ça serait pas mal de parler politique, gauche et musique, non ?' Ils ont trouvé ça marrant, les uns et les autres. Bref, en une semaine c'était calé." Il poursuit : "Hamon était très cool. Très intéressé. Il n'arrêtait pas de poser des questions au groupe. Ça a mis une bonne ambiance..."
Avec son allure de bon gendre, Benoît Hamon n'a pas toujours été aussi classique. "J'avais un look un peu dark, qui se résumait à porter un imper marine très long qui traînait un peu sur mes bottes" avait-il expliqué dans les colonnes de Rolling Stone, ajoutant ensuite qu'à l'époque il "ne refusait jamais un petit pogo".
À 49 ans, il fait plus jeune qu'Emmanuel Macron de 10 ans son cadet
Parce qu'il a été un des premiers politiques à s'être inscrit sur Twitter, Benoît Hamon fait aussi partie des premiers utilisateurs à s'être essayé aux anecdotes et tranches de vie partagées au hasard sur le réseau social. Des petites errances que nombreux d'internautes ont pu expérimenter eux aussi, les premiers mois qui ont suivi leur inscription à Facebook ou Twitter par exemple...
... grâce auxquelles on apprend qu'il aime écouter Kool Shen et se jeter un petit demi de bière, mais qu'il apprécie également boire du thé à la menthe ou encore écouter Jeff Buckley.
Comparé à un Emmanuel Macron, le plus jeune candidat à la présidentielle française qui cherche également à s'imposer auprès des jeunes, le flegme de Benoît Hamon ronronne comme une vieille voiture dont on ne s'attendait pas à ce qu'elle dépasse le hummer.
"Benoît Hamon est tel que vous le voyez"
Surtout, même si se faire l'écho du revenu universel est un challenge politique (il est constamment assailli sur la faisabilité d'une telle mesure), ce choix politique a l'avantage de l'ancrer dans l'imaginaire collectif pré-présidentielles à travers une proposition forte et identifiable.
Coincée entre la légalisation des drogues douces et les réflexions autour de la décroissance, cette proposition semble être devenue la figure de proue de son programme défini comme émanant de la "gauche du parti socialiste"... Un état d'esprit différent de celui d'Emmanuel Macron, souvent perçu comme "le candidat des grandes métropoles mondialisées".
Et si, à 49 ans, Benoît Hamon faisait plus jeune qu'Emmanuel Macron ? Pour son directeur de campagne Mathieu Hanotin interrogé par Mashable FR, Benoît Hamon n'a "pas de stratégie pour toucher les jeunes : "Il est tel que vous le voyez. Il s'adresse à tous les publics. Mais c'est vrai que certains sujets parlent particulièrement aux jeunes, je pense notamment à la première partie de la mise en place du revenu universel qui concerne les 18-25 ans et leur permettra de se consacrer à temps plein à leurs études. Aujourd'hui ils sont 25% dans cette classe d'âge à vivre sous le seuil de pauvreté, on ne peut pas se satisfaire de cette situation."
Foot, rugby et kebab
Mais ce capital sympathie, on s'en doute, ne s'est pas construit sans un minimum de plannification. Avec son interview kebab donné à StreetPress, le candidat socialiste offre un nouvel exemple de l'intérêt qu'ont les hommes politiques pour les médias non-traditionnels. On se souvient par exemple de François Fillon en couverture de Society, François Hollande croqué par Desports ou encore Alain Juppé en train de se réajuster le col de chemise aux Inrocks.
"Si on ne s’exprime que dans les médias traditionnels, on rate une partie des gens qui ne les lisent pas. Ces gens qui ne mettent peut-être jamais les pieds dans un meeting politique, mais qui lisent une presse différente. Parler à tout le monde est un impératif", admettait Gilles Boyer, conseiller d’Alain Juppé, en mars 2015. On se doute bien que Mathieu Hanotin, directeur de campagne de Benoît Hamon, s'est entre temps fait la même réflexion.
Et lorsque Benoît Hamon, dont on sait déjà qu'il aime le rugby, se met à parler de foot, on se doute également que "la récupération n'est pas que l'action de chiper un ballon à l'adversaire" puisque "les hommes politiques français se sont également emparés de l'affaire Benzema" comme le faisait remarquer So Foot en juin 2016. En effet, sur l'antenne d'Europe 1, Benoît Hamon n'avait pas hésité à soutenir Karim Benzema.
Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.
Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine
Je m'abonne