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SYRIE

De Damas à Hollywood, un acteur syrien vit son rêve américain

Après avoir fui la Syrie en 2011, Jay Abdo, un célèbre acteur syrien, a trouvé refuge aux États-Unis. En trois ans, l’acteur a su se faire une place dans le cercle fermé d’Hollywood et joue actuellement dans un film aux côtés de Nicole Kidman.

Jay Abdo, à Los Angeles, le 22 décembre 2016.
Jay Abdo, à Los Angeles, le 22 décembre 2016. Valérie Macon, AFP
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En novembre 2015, la chaîne canadienne CBC a consacré un reportage à un acteur syrien, arrivé trois ans auparavant sur le sol américain. Son nom : Jay Abdo, inconnu outre-Atlantique. Pendant les premières minutes du court documentaire, retrouvé sur YouTube (voir ci-dessous), le spectateur découvre un homme d’une cinquantaine d’année, jovial, au sourire indéfectible, qui s’émerveille en voyant les grands noms du cinéma américain gravés sur les trottoirs du célèbre Hollywood Boulevard. Quand soudain, un jeune homme surgit devant la caméra.

"Vous connaissez Jay Abdo ?" lui demande alors le journaliste américain, amusé par cet intrus qui se précipite, admiratif, sur l'acteur. "Mais bien sûr !" lui rétorque le jeune homme, sans lâcher la star syrienne du regard. "Je suis tellement fan ! Il joue dans [la série] ‘Bab al-Hara’ [‘La porte du Quartier’] ! C’est l’une des plus célèbres séries [dans le monde arabe]".

Et c’est peu de le dire. La série syrienne "Bab al-Hara" n’est pas vraiment une sitcom comme les autres, plutôt un classique du 8e art qui, au Moyen-Orient, n’attire pas moins de 50 millions de téléspectateurs par épisode… Jay Abdo, l’un des personnages principaux, est donc, au bas mot, une superstar dans le monde arabe. Il y a encore moins de 10 ans, il ne pouvait faire un pas en Syrie sans être assailli par une foule de fans.

"J’ai été harcelé, suivi…"

Aux États-Unis, où il réside aujourd’hui, tout a changé, évidemment. À la gloire a succédé l’anonymat, brutal et inattendu. Comme des milliers de ses concitoyens, l’acteur a précipitamment fui la Syrie au début du conflit, en 2011, pour échapper au régime dont il s’est attiré les foudres. Jay Abdo, sollicité par Damas, a refusé, à l’instar d’autres artistes syriens, de soutenir publiquement Bachar al-Assad et de faire la publicité du régime. "J’ai été harcelé, j’ai été suivi…", raconte-t-il à France 24, sans jamais rentrer dans les détails.

C’est en août 2011, sans le savoir, qu’il scelle son propre sort. Dans un entretien au Los Angeles Times, qu’il donne pendant un séjour au Liban, Jay Abdo dénonce à demi-mots les agissements du régime. "J’ai dit aux journalistes que l’armée et la police étaient la cause de ce qu’il se passait en Syrie." Il ne parle ni d’exactions, ni de torture, mais c’est déjà trop. "Je ne m’attendais pas à devoir quitter mon pays", confie-t-il, "je n’ai jamais pensé à organiser ma fuite."

Pour s’échapper, Jay Abdo doit ruser. Il prend un billet pour le Caire, en Égypte, dans l’intention de se rendre ensuite aux États-Unis, à Minneapolis, où sa femme, Fadia Afashe, qui occupait un poste au ministère syrien de la Culture, est installée. Elle aussi avait fui le régime après une rencontre en France avec des opposants politiques syriens. "À l’aéroport de Damas, la police m’a posé plusieurs questions sur les raisons de mon départ. J’ai répondu que j’allais tourner un film en Égypte". La combine fonctionne mais Jay Abdo n’est pas dupe. Selon lui, Damas a poussé plusieurs opposants de renom à quitter le pays pour pouvoir mieux les accuser de traîtrise.

"J’ai laissé deux maisons et un compte bancaire à Damas"

En montant dans l’avion pour Le Caire, Jay Abdo laisse derrière lui une vie confortable et une grande notoriété - il a tourné dans plus de 40 longs-métrages et de nombreuses séries télévisées. "J’avais une belle vie. Les gens m’aimaient", raconte-t-il. Dans un documentaire réalisé en 2016 par Marcelle Aleid, une Syrienne réfugiée au Canada, Jay Abdo témoigne de cette douloureuse fuite. "Quand je suis parti de Syrie, la seule chose que j’ai emportée de valeur était mon violon. Je ne savais pas alors, que je partais pour toujours."

Aux États-Unis, où aucun de ses talents n’est reconnu, l’argent vient à manquer. "Je suis parti précipitamment. J’ai laissé deux maisons à Damas, une voiture et un compte bancaire. J’ai simplement réussi à prendre un peu d’argent avec moi mais pas beaucoup", explique-t-il. Après huit mois passés à Minneapolis, Jay Abdo et sa femme décident de s’installer à Los Angeles.

L’acteur souhaite plus que tout retrouver les plateaux de tournage. "J’ai toujours eu l’ambition de reprendre mon métier d’acteur", ajoute-t-il. En attendant une opportunité, il enchaîne les petits boulots alimentaires. "J’ai été traducteur, vendeur de fleurs, livreur de pizza et garçon de café dans un restaurant italien", énumère-t-il. "J’ai aussi travaillé comme chauffeur de taxi pendant deux ans. Tous ces emplois m’ont permis d’améliorer mon anglais."

De "Jihad" à "Jay"

Pour occidentaliser son identité, il décide de changer de patronyme. À l’origine, l’acteur se nomme Jihad Abdo. "J’ai rencontré énormément de personnes choquées par mon prénom", raconte-t-il pour justifier son changement en Jay. Or en Syrie, Jihad est un prénom commun, donné dans toutes les communautés, et ses parents l’ont baptisé ainsi en hommage à un ami chrétien de Damas. Mais même avec un prénom plus passe-partout, le succès tarde. À Los Angeles, il enchaîne plus d’une centaine d’auditions, sans succès.

C’est à l’été 2013 que la chance lui sourit enfin. Grâce à une vidéo-CV qu’il a postée sur Internet, il est repéré par le célèbre réalisateur allemand Werner Herzog, auteur, entre autres, de "Fitzcarraldo". Ce dernier lui offre son premier rôle dans le film "Queen of the Desert", dont la sortie est prévue au printemps. Jay Abdo se retrouve ainsi propulsé aux côtés de stars comme Nicole Kidman, James Franco et Robert Pattinson.

Et Werner Herzog a pris conscience de la célébrité de son acteur pendant le tournage du film au Maroc. "Tout le monde voulait une photo avec lui, raconte-t-il au Wall Street Journal, et les marchands nous faisaient moitié prix".

Nicole Kidman, James Franco, Tom Hanks…

"Je n’arrive toujours pas à réaliser", confie Jay Abdo. "C’est extrêmement difficile de se faire repérer par un réalisateur, sachant que je n’ai pas d’agent et personne pour me représenter, ni pour me vendre. À cet instant, je me suis dit que le destin m'avait offert cette incroyable opportunité."

La carrière de Jay Abdo a donc pris un nouveau départ, et son compte en banque aussi. "Ma situation financière est bien meilleure qu’avant", confie-t-il, simplement, à France 24. Son réseau s’est élargi et lui a ouvert des portes. L’acteur syrien est visible dans la série américaine "The Patriot", dans le court-métrage "Bon voyage" du Suisse Marc Raymond Wilkins, en course pour les nominations aux Oscars. Il incarne aussi un médecin aux côtés de Tom Hanks dans le film "Hologram for the King", qui doit sortir prochainement en France.

Humble, Jay Abdo sait qu’il est extrêmement chanceux d’être là où il est aujourd’hui. Chaque jour, affirme-t-il, il pense à son pays. "Pour le moment, je n’y retournerai pas. La situation est trop instable", se justifie-t-il. Il rentrera quand son pays sera reconstruit sur des idéaux de "paix, de démocratie et de liberté". Dans un futur où il pourra retrouver sa famille, son identité et son véritable nom, Jihad Abdo.

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