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SANTÉ

Le mythe du patient zéro de l’épidémie du sida enfin enterré ?

Le Canadien Gaëtan Dugas n'est en aucun cas le "patient zéro" de l'épidémie mondiale de sida, conclut une nouvelle étude scientifique. Grâce au recours à la génétique, les chercheurs espèrent en finir une fois pour toute avec ce mythe à la peau dure.

Gaëtan Dugas a été surnommé, à tort, le "patient zéro" de l'épidémie de sida
Gaëtan Dugas a été surnommé, à tort, le "patient zéro" de l'épidémie de sida Capture d'écran, Youtube
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Son nom a longtemps été associé au virus du sida. Le steward québécois Gaëtan Dugas, suspecté depuis la fin des années 1980 d’être le "patient zéro" [première personne à être contaminée par une maladie] de l’épidémie du sida aux États-Unis, puis en Europe, n’est en fait qu’une des victimes en occident, et même pas parmi les toutes premières, de cette maladie, démontre une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Nature, mercredi 26 octobre.

"Il est temps d’arrêter de le blâmer, nous sommes aujourd’hui sûr à 100 % qu’il n’est pas le fameux patient zéro", assure Philippe Lemey, directeur de recherche en virologie et épidémiologie à l’université de Louvain (UCL) et co-auteur de l’étude, contacté par France 24.

Patient O, pas zéro

Les doutes sur la véritable identité du patient zéro existent, en fait, depuis le début des années 1990. L’étude du Center for Desease Control (CDC) qui a mis Gaëtan Dugas, mort du sida en 1984, au centre de l’épidémie "a très vite été mise en doute par les épidémiologues et historiens", raconte Guillaume Lachenal, spécialiste de l’histoire et de l’anthropologie de la lutte contre le sida au CNRS, contacté par France 24. Les experts du CDC avaient analysé le réseau de personnes contaminées et, en partant du postulat que la maladie se déclarait après quelques mois, ils étaient remontés jusqu’au steward, baptisé "patient O" (pour "Outside the area", c’est-à-dire venu d’ailleurs). Problème : il est apparu, peu après le début de l’épidémie, que le sida prend plusieurs années avant de se manifester chez un individu porteur.

Mais le mythe a la peau dure. "Les gens ont besoin de donner un visage à une épidémie, c’est une constante", constate Guillaume Lachenal. Gaëtan Dugas faisait figure de coupable idéal. Son nom n’aurait jamais dû être révélé, mais le journaliste américain Randy Shilts – père du terme patient zéro et qui succombera également au sida – a vendu la mèche dans son livre sur la maladie "And the band played on", paru en 1987. Il y évoquait les multiples partenaires de cet homosexuel et l’a qualifié d'"irresponsable" pour ne pas s’être protégé lors de ses rapports après avoir été diagnostiqué porteur du virus.

L’occasion était trop belle pour ceux qui voulaient à l’époque présenter le sida comme le "cancer des homos". "En plus, le suspect était étranger", souligne Guillaume Lachenal. Une certaine presse s’en est donné à cœur joie. Le tabloïd New York Post avait évoqué "l'homme qui nous a donné le sida", tandis que le magazine conservateur National Review l'a même qualifié de "Christophe Colomb du sida".

Plus de dix ans avant le "patient zéro"

Les auteurs de la nouvelle étude espèrent réussir à achever une fois pour toute le mythe. "Après les articles historiques, épidémiologiques, cette fois-ci la démonstration est génétique", note Guillaume Lachenal du CNRS. Les scientifiques ont, pour la première fois, pu "analyser le génome viral de deux individus décédés à la fin des années 1970 qui présentaient des anticorps au virus et ils se sont révélés porteurs", constate Philippe Lemey de l'UCL.

L’origine de l’épidémie remonte au début des années 1970, soit plus de dix ans avant que le CDC ne l’identifie à New York, d’après les conclusions de l’étude. En fait, rien n’indique non plus qu’elle s’est propagée au reste du pays depuis la côte Est. "Lorsque Gaëtan Dugas a été diagnostiqué, l’épidémie était déjà mature, il y avait plusieurs milliers des personnes infectées d’un bout à l’autre des États-Unis”, explique le virologue belge.

Le trajet du virus, reconstitué par les auteurs de l’étude, indique que le vrai patient zéro pour la propagation du sida aux États-Unis vient très probablement d’Haïti. "Haïti est l’étape intermédiaire entre la République démocratique du Congo et les États-Unis, et le patient zéro a pu être un immigré haïtien, un touriste américain ou alors le virus était contenu dans un échantillon de sang qui a fait le trajet entre les deux pays", énumère Philippe Lemey.

Autant pour l’histoire. D'un point de vue médical, la quête du patient zéro de l’épidémie aux États-Unis n'a "pas une grande importance", résume Guillaume Lachenal. "Le découvrir ne permettrait pas de rapprocher la science d’un éventuel remède contre la maladie", ajoute Philippe Lemey. Le patient zéro permet de mieux comprendre les modes de transmission d'une maladie ou d'en étudier l'évolution. Des points déjà connus dans le cas du VIH [pour virus de l'immunodéficience humaine]. Les deux scientifiques sont d’accord pour dire qu’il y a "peu de chance de découvrir un jour le vrai patient zéro". Et pour Philippe Lemey, c'est tant mieux car cela évitera de transformer des victimes en coupables.

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