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En Inde, l’étrange phénomène des selfies meurtriers

Une star du cricket prend un selfie devant un lion. Un Indien devant un python, qui le mordra une seconde après.
Une star du cricket prend un selfie devant un lion. Un Indien devant un python, qui le mordra une seconde après.
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C’est en voulant se prendre en photo dans le décor majestueux de la Lion’s Point Valley, près de Lonavla dans l’ouest de l’Inde, qu’Agnel Cyril Peris, 25 ans, s’est tué samedi dernier : son pied a glissé au bord d’un ravin et il a chuté de 60 mètres. C’est le dernier drame en date provoqué lors de la prise d’un selfie et il est loin d’être anodin en Inde : le pays serait le plus touché du monde par les "morts par selfie". Décryptage.

En Inde, depuis le mois de janvier, 52 personnes seraient mortes en voulant faire des selfies. Et le bilan est en augmentation : depuis 2013, au moins 73 individus auraient trouvé la mort alors qu’ils essayaient de prendre une photo d’eux-mêmes, selon un classement établi par le site Priceonomics mais qui ne se base que sur des données collectées via Google News et Wikipedia et ne peut donc être exhaustif.

Il reste que l’Inde est particulièrement touchée par les "morts par selfies ". Les rubriques nécrologiques des journaux indiens se sont ainsi étoffées ces dernières années des récits de ces morts accidentelles en publiant parfois les photos fatales ou bien les derniers clichés pris avant l’instant tragique.

Noyade, pythons et lions

Certains ont voulu se prendre en photo devant un barrage et ont glissé.

En juin dernier, à Kanpur, sept étudiants sont morts noyés les uns après les autres, pour avoir voulu porter secours au premier d’entre eux. En voulant faire un selfie au bord du barrage, celui-ci avait perdu l’équilibre et glissé dans les eaux agitées du Gange.

À côté du "selfie paysage", il y a ceux qui ont le goût du risque et tentent des selfies dans les trains en marche ou près des rails. À Chennai, en février dernier, le corps sans vie d’un étudiant de 19 ans a été retrouvé sur le chemin de fer. Quelques minutes plus tôt, il tentait de se prendre en photo, tout près de la voie pour avoir le train derrière lui.

Photo prise après le drame. D.R.

Certains sont visiblement prêts à aller très loin : un selfie avec un python de deux mètres ? Un Indien n’a pas résisté, il s’est fait happer le bras et s’en est sorti avec une belle morsure.

Capture d'écran d'une vidéo amateur, montrant l'homme se prenant en photo juste avant de se faire mordre.

Une photo de soi avec des lions en arrière-plan ? Une star indienne du cricket a succombé à la tentation.

Le selfie dangereux du joueur de cricket Ravindra Jadeja.

Mais depuis la mort de trois personnes dans des parcs animaliers indiens, les autorités ont mis en place des sanctions financières. La célébrité a ainsi dû débourser près de 270 euros pour son selfie jugé bien trop dangereux.

À Bombay, les autorités ont également décidé d’agir : la ville a instauré 16 "no-selfie zones" dans les sites touristiques, où il sera donc interdit de se prendre soi-même en photo. Et dans tous les États du pays, on voit pousser des panneaux "selfies interdits" au bord de falaises ou dans les endroits dangereux.

"Les Indiens ont une notion spécifique du risque"

Pour Sanjay Srivastava, un professeur indien de psychologie à l’université d’Oregon, une conjonction de facteurs culturels et économiques explique que le selfie soit très populaire en Inde, et qu’autant de personne se tuent en prenant des photos d’elles.

La mode des selfies en Inde s’explique par une volonté de démocratiser une société encore très hiérarchisée [si les castes ont été abolies en Inde, les Indiens s’y réfèrent encore beaucoup], le selfie donne l’impression que n’importe qui peut être important en faisant une reproduction de lui-même.

Mais le selfie est aussi un élément d’une culture de la consommation et d’une culture du loisir qui se développent en Inde [avec la croissance économique]. Avec la hausse du niveau de vie, de plus en plus de gens ont un smartphone, et cela révolutionne l’accès à l’appareil photo. Même les moins aisés peuvent se sentir l’égal des autres.

Par ailleurs, il faut savoir que les Indiens ont une notion spécifique du risque. En fait, le risque est un concept culturel. En Europe, le discours sur le risque est clair et bien établi : on mentionne les risques qu’encourent les enfants sur une aire de jeux, les risques que font courir les additifs chimiques dans la consommation, etc. En Inde, ce genre de discours n’existe quasiment pas. De fait, les gens sont plus susceptibles de prendre des risques : en Inde on s’arrêtera par exemple au milieu de la route pour admirer le paysage, ce qui serait inimaginable en Occident.

D’autres analyses soulignent que des publicités pour smartphones mettant en avant la qualité de leur appareil photo, et évoquant leur utilité pour faire des selfies, ou la propension du Premier ministre Narendra Modi à se prendre lui-même en photo et poster les clichés en ligne, sont des facteurs contribuant à rendre particulièrement tendance le selfie dans le sous-continent indien.

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