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Découvertes

Le commerce de viande de chien, la tare sud-coréenne

À l'instar de nombre de ses voisins asiatiques, la Corée du Sud tue chaque année des millions de chiens pour leur viande. Perçue comme cruelle et archaïque en Occident, cette industrie fait aussi tache au pays des nouvelles technologies.

Meredith Lee/HSI
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Début février 2018, la ville de Pyeongchang, située à 180 kilomètres de Séoul, accueillera les XXIIIe Jeux olympiques d’hiver. Comme mascotte officielle, les Sud-Coréens ont choisi "Soohorang", un tigre blanc. "C’est un bel animal, cher à la culture coréenne, qui symbolise aussi le lien étroit entre les Jeux d’hiver et l’environnement", a expliqué Gunilla Lindberg, la présidente de la commission de coordination des Jeux de Pyeongchang.

Un autre animal risquerait cependant de moins mettre d’accord les Sud-Coréens et une partie du reste du monde : le chien. Car au pays du Matin calme, il finit souvent dans l’assiette, malgré une augmentation récente de leur nombre en tant qu’animal de compagnie.

VOIR AUSSI : Un homme libère 1 000 chiens au festival de viande canine de Yulin, en Chine

Il faut dire que l'ombre des Jeux d’été de 1988 plane encore au-dessus de la 11e puissance mondiale. Il y presque 30 ans, le gouvernement sud-coréen, soucieux d’éviter les polémiques en marge de l’événement sportif le plus important qu’un État est en mesure d’organiser, avait fait fermer des centaines de restaurants servant du bosingtang, la spécialité nationale à base de chien (une sorte de potage agrémenté de légumes). "C’est du moins ce que l’on a fait croire. En réalité, les restaurateurs ont juste arrêté d’afficher au menu leur bosingtang, lui préférant un nom plus flou comme la 'Soupe des 4 saisons'", explique Patrick Maurus, professeur de langue et de littérature coréennes à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

Aujourd’hui, près de 20 000 enseignes serviraient encore de la viande canine dans le pays, d’après les chiffres de IAKA, une association sud-coréenne de défense des animaux. On estime que chaque année, les Sud-Coréens abattent et mangent entre 1,5 et 2,5 millions de chiens issus de 17 000 élevages repartis dans le pays. 

Anachronismes

Leur viande se consomme particulièrement en été, durant la période chaude appelée Bognal ou Boknal. Selon la croyance, dont l’origine est plutôt à chercher dans le folklore chinois, elle aurait la particularité de "rafraîchir" le corps, mis à mal par les températures estivales.

"Il y a une vraie dichotomie entre la modernité de ce pays et cette tradition"

La seconde vertu qui lui est attribuée explique pourquoi cette chair de canidé est essentiellement ingérée par la gent masculine : son effet "revigorant". "Disons que les hommes d’âge mûr un peu fatigués sexuellement en sont les premiers consommateurs", détaille Pierre Joo, blogueur sud-coréen spécialiste de la communication entre la France et l’Asie. Il fallait bien que la quête de virilité ait quelque chose à voir là-dedans. 

Difficile d’imaginer que de telles croyances pseudo-pharmacologiques aient à ce point la dent dure au pays du débit Internet supersonique et de la chirurgie esthétique. "C’est étonnant de voir que les gens continuent à attribuer à la viande de chien ces propriétés erronées", s’étonne Pierre Joo, qui vit en Corée depuis cinq ans. "Il y a une vraie dichotomie entre la modernité de ce pays et cette tradition. Plus surprenant encore, le fait qu’elle rappelle des temps douloureux pour la Corée qui, dans les périodes de famine, n’avait eu d’autre choix que de manger ses chiens."

Malheureusement, en Corée comme dans de nombreux pays d’Asie, il ne suffit pas de manger du chien pour jouir de ses merveilleuses vertus. Non, il faudra faire souffrir l'animal le plus longtemps possible lors de son abattage, car meilleure en sera sa viande. "Ça donne des scènes tout à fait abominables", affirme Marc*, un Français installé à Séoul depuis plus de vingt ans. À plusieurs reprises, il a été témoin, malgré lui, d’exécutions "traditionnelles".

Car oui, en Corée du Sud comme dans les autres pays asiatiques où est consommée de la viande canine, il est de coutume de battre l’animal à mort, de lui briser les membres ou encore de l’écorcher vivant, en le maintenant en vie le plus longtemps possible. "Ça décuplerait les nutriments et le plaisir en bouche", poursuit Marc. "Soyons sérieux...".

Risques sanitaires élevés

En réalité, si ces cruelles méthodes d’abattage sont répandues au Vietnam, en Chine, aux Philippines ou en Indonésie – où l’on attribue à l’animal les mêmes propriétés bienfaisantes –, les éleveurs ou bouchers sud-coréens auraient plutôt recours à l’électrocution. Lola Webber, cofondatrice de Change For Animal Fondation, une ONG spécialisée dans le sauvetage des chiens en Corée du Sud, l’assure : "Le débit des élevages de chiens est trop élevé pour que les bouchers aient le temps de les torturer. L’électrocution est un moyen plus rapide, plus rentable. Et de toute façon, personne n’est là pour vérifier leurs méthodes."

Le problème est bien là : en Corée du Sud règne sur la question un flou juridique sans pareil. Alors que la vente de viande de chien a été officiellement interdite en 1988, c'est le seul pays d’Asie à disposer d’élevages "organisés", dont l’ouverture ne nécessite aucune licence. Les chiens y naissent et passent leur vie entière dans des cages minuscules, où nourriture et excréments se mélangent. "D’un point de vue sanitaire, c’est une catastrophe", souffle Lola Webber.

En avril, l’AFP interrogeait un éleveur, M. Gong, qui depuis a abandonné son exploitation – la plus grande du pays. Il racontait que la police venait tout au mieux vérifier que le voisinage n’était pas dérangé par les aboiements et que les déjections étaient correctement traitées.

L’illusoire spécisme

Le Français Patrick Maurus, lui, ne se cache pas d’être un consommateur occasionnel de viande de chien, bien qu’il concède "la cruauté" qui règne dans l’envers du décor. Au téléphone, il nous confie avoir "hâte d’en remanger" lors de son prochain voyage, prévu à l’automne. "Mais vous savez, les Sud-Coréens ne mangent qu’une seule race de chien, un genre de chien commun", nous rassure-t-il. Bien, nous voilà rassurés. 

"On y trouve absolument toutes les races, du cocker au labrador"

Ce chien "commun", c’est le gaegogi ou nureongi ("chien jaune"), qui n’a évidemment rien de bien différent d’un chien de race. Contrairement à ce qu’imaginent Patrick Maurus et de nombreux Sud-Coréens, il est loin d’être le seul enfermé dans les cages des fermes canines du pays. Lola Webber, qui en a déjà fait fermer cinq grâce à des contreparties financières offertes aux éleveurs (jusqu’à 60 000 dollars pour amorcer leur reconversion), ne le sait que trop : "On y trouve absolument toutes les races, du cocker au labrador en passant par le golden retriever, le husky et même le jindo-kae, le chien 'sacré' de Corée. De toute façon, même si cette industrie de l’horreur ne concernait que le chien jaune, je ne vois pas en quoi ce serait moins dérangeant."

En janvier 2015, un article du Korea Observer révélait qu’en plus des multiples races de chiens présentes dans les élevages, de nombreux spécimens étaient surtout d’anciens animaux de compagnie, abandonnés par des propriétaires lassés de leur présence. Toutefois, le vol de chiens à des particuliers, courant en Chine ou au Vietnam, est plus rare en Corée du Sud.

"Fracture générationnelle"

En quelques années, le nombre de chiens de compagnie y a d’ailleurs explosé. John Dalley, le fondateur de Soi Dog, une association venant en aide aux chiens d’élevage en Asie, a pu observer ce phénomène : "Ils sont détenus en grande majorité par la jeune génération, qui s’offusque de plus en plus des pratiques de ses aînés". Pierre Joo, lui, n’hésite d’ailleurs pas à parler de "véritable fracture générationnelle sur la question de la viande de chien".

D'après un sondage de l'institut Gallup Korea, seuls 20 % des hommes d'une vingtaine d'années avaient mangé du chien au cours de l'année 2015, contre 50 % de cinquantenaires et sexagénaires. Indéniablement, la pratique est en déclin.

Une fin proche ?

Tous les activistes que Mashable FR a interrogés en sont convaincus : d’ici une quinzaine d’années, la viande de chien sera derrière la Corée. Mais ils savent aussi qu’ils ne peuvent attendre passivement que le temps fasse son travail. "Il faut un catalyseur, qui ne peut être que le dialogue avec les pouvoirs publics", assure John Dalley. "Notre but n’est pas de faire la morale, mais de montrer que la fermeture définitive de ces élevages et restaurants serait un vrai progrès, en totale cohérence avec ce qu’est la Corée du Sud du XXIe siècle."

N’oublions pas qu’en Occident sont consommés chaque année des centaines de millions de vaches, de porc ou même de chevaux – met impensable pour un Coréen. En France, où les débordements dans les abattoirs sont régulièrement pointés du doigt, on mangeait d’ailleurs encore du chien au début du XXe siècle. Leur viande était vendue dans de vraies "boucheries canines". Mais l’histoire, la tradition, le fait que cette pratique perdure ailleurs dans le monde ou encore les quantités astronomiques d'animaux d'élavages tués chaque jour sur la planète sont-elles des raisons suffisantes pour justifier la barbarie et les dangers sanitaires de cette industrie ?

Le 12 septembre prochain, les parlementaires britanniques tenteront de répondre à cette question lors d'un débat au palais de Westminster... et de faire en sorte qu'elle se pose ailleurs. En Corée du Sud, par exemple.

*Le prénom a été changé à la demande de notre interlocuteur.
Il est important de mentionner que ces pratiques, dans de nombreux pays d'Asie, concernent aussi les chats.

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