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FRANCE

La France accusée de fermer les yeux sur la "chasse aux étrangers" à Mayotte

Depuis début 2016, des collectifs de villageois mènent des expéditions punitives à Mayotte contre des Comoriens. Plus d’un millier d'entre eux ont déjà été chassés de leur domicile. Des associations dénoncent l’inaction de l’État.

Des personnes chassées de leur domicile se sont regroupées à Mamoudzou, place de la République, le 20 mai 2016.
Des personnes chassées de leur domicile se sont regroupées à Mamoudzou, place de la République, le 20 mai 2016. Ornella Lamberti, AFP
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Ils arrivent dans des cortèges de voitures, armés de grands couteaux, et pénètrent dans les villages du sud et du nord de Mayotte, le plus pauvre département de France. Depuis début 2016, des collectifs de villageois de la petite île française, situé à plus de 7 000 kilomètres de la métropole, effectuent des expéditions punitives pour "chasser" les étrangers. "Ils détruisent les habitations, ils s’assurent que les occupants des lieux ne pourront pas revenir y habiter", raconte Olivier Loyens, le rédacteur en chef de Mayotte Hebdo, contacté par France 24. Selon des témoins, les assaillants arrivent sur les lieux en criant "Nawa lawé !" ("Qu’ils partent !", en shimaoré, la langue locale), et en tapant avec des bâtons sur des casseroles. Les journalistes et militants pacifistes présents sont souvent menacés et sommés de quitter les lieux.

Des opérations commandos si violentes – et de plus en plus récurrentes – que les autorités publiques sont sorties cette semaine de leur mutisme. Le préfet de l’île, Frédéric Veau, a exhorté, mercredi 25 mai, les Mahorais à cesser "immédiatement" ces expulsions qui ont déjà touché des dizaines de villages à Mtsahara, Bouéni (nord de l'île), Tsimkoura, Poroani, Choungi, Mtsamoudou et Kani-Kéli (sud de l'île). La veille, Jacques Toubon, le défenseur des droits, avait lui aussi pris la parole pour condamner ces pratiques.

>> À lire sur les Observateurs : "La chasse aux Comoriens bat son plein en toute impunité à Mayotte"

Souvent, les victimes - des clandestins comoriens -, alertées par la venue de ces "collectifs de citoyens", ont déjà déserté leur maison. Selon la Cimade, une association de défense des droits des étrangers, ils seraient plus de 1 000 à ne plus avoir de toit. Des femmes et des enfants, surtout, jetés sur les bords de la route. Certains sont accueillis par des associations, d’autres se sont rassemblés à Mamoudzou, la plus grande ville de Mayotte.

Un camp de réfugiés à Mamoudzou

Selon Médecins du Monde, sur place, la situation a pris une tournure catastrophique. Un camp de réfugiés a vu le jour. "Près de 250 personnes campent aujourd’hui sur la place de la République [à Mamoudzou] dont la majorité sont des femmes et des enfants", a écrit l’ONG dans un rapport publié le 20 mai. Les conditions sanitaires sont désastreuses, "ils n’ont accès ni à des douches ni à des toilettes, dormant à même le sol sans couverture et avec un accès restreint à la nourriture." Un collectif d'associations présent auprès des expulsés a tenu une conférence de presse mardi matin, au cours de laquelle il a dénoncé "l'inaction du gouvernement français".

Mais pourquoi un tel déchaînement de violences ? "Ces expulsions sont stimulées par le ras-le-bol des habitants", explique Olivier Loyens, de Mayotte Hebdo. "Les problèmes d’insécurité, de saturation des services publiques, de sureffectifs dans les écoles, tout cela contribue à alimenter un sentiment d’exaspération parmi la population, qui rejette la faute sur les étrangers."

Des clandestins chassés de chez eux lavent leur linge dans le camp de Mamoudzou, à Mayotte.
Des clandestins chassés de chez eux lavent leur linge dans le camp de Mamoudzou, à Mayotte. Ornella Lamberti, AFP

Ces actes xénophobes ne sont pas inédits. Mayotte, qui compte 40 % d'étrangers, a toujours connu une très forte pression migratoire des îles voisines des Comores. En 2015, l'État a reconduit à la frontière plus de 18 000 personnes. "Et depuis que l’île est devenue un département français en 2011, son attractivité n'a cessé d'augmenter". Mais pas son niveau de vie : le chômage touche 19 % de la population active et 61 % des 15-24 ans, plus de 27 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Et la situation continue à se dégrader : les Comoriens sont aujourd’hui perçus comme les responsables de tous les maux de la société. Ils sont accusés de "meurtres, de viols, d’agressions, de délinquance juvénile, de chômage", déplore la Cimade.

>> À voir sur France 24 : "Mayotte la Française dans l'impasse face à l'afflux des migrants comoriens"

Le malaise est tel que même les Comoriens détenteurs de cartes de séjour sont visés par cette "chasse aux sorcières". "Il y a des personnes en situation régulière dans le camp de Mamoudzou, précise Laurent Loyens. La population s’en prend à elles, parce qu’elle les accuse de complicité. Elle les accuse de faciliter l’arrivée de clandestins, de les héberger chez elles."

"Préserver la paix sociale"

Les membres des battues sauvages anti-immigrés reconnaissent la violence et "l’illégalité" de leurs actions mais ils se considèrent eux aussi comme des "oubliés" de la métropole. Ils accusent l'État d’être démissionnaire au sujet de l’immigration clandestine. "La France régularise trop facilement", explique un habitant interrogé par l’AFP. "Mayotte ne peut pas accueillir tout le monde, elle étouffe".

Face à cette tension extrême, la police reste discrète. "Les forces de l’ordre n’empêchent pas les expulsions, mais elles s’assurent qu’il n’y a pas de violences physiques à l’égard des expulsés", précise le rédacteur en chef de Mayotte Hebdo. Si les représentants de l’autorité publique ne réagissent pas c’est parce qu’ils craignent qu’une intervention ne mette de l’huile sur le feu. "Ils veulent préserver une sorte de paix sociale."

Des gendarmes surveillent la ville de Bouéni (nord de l'île) pendant une "expulsion calme" d'étrangers.
Des gendarmes surveillent la ville de Bouéni (nord de l'île) pendant une "expulsion calme" d'étrangers. Ornella Lamberti, AFP

Mercredi, le préfet a pris le dossier en main. Frédéric Veaux a annoncé un plan d’action pour tenter d’enrayer la crise. Des mesures seront prises pour reloger les expulsés du camp de Mamoudzou : les personnes en situation irrégulière seront reconduites à la frontière, celles en situation régulière devront utiliser leur certificat d'hébergement (un garant qui promet d'héberger le demandeur de titre de séjour, NDLR) pour rester à Mayotte.

Des mesures de renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine seront également mises sur pied. Dès cette semaine, un détachement de la Légion étrangère devrait s'implanter sur l'îlot de M'tsamboro (îlot du nord de Mayotte, sur lequel arrivent nombre d'embarcations de clandestins), et des états-majors de la sécurité devraient se tenir la semaine prochaine.

Avec AFP

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