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CENTENAIRE 14-18

Concert de Black M à Verdun : retour sur une polémique alimentée par l'extrême droite

Face à la polémique, la mairie de Verdun a finalement décidé d'annuler le concert de Black M pour les commémorations du centenaire. Alors que l'extrême droite crie victoire, le rappeur rend hommage à son grand-père, tirailleur sénégalais en 39-45.

Le chanteur Alpha Diallo alias "Black M", en avril 2015 lors du Printemps de Bourges
Le chanteur Alpha Diallo alias "Black M", en avril 2015 lors du Printemps de Bourges Guillaume Souvant, AFP
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Le rappeur Black M ne chantera pas pour les commémorations du centenaire de la bataille de Verdun. Après toute une semaine de polémique, la municipalité a fini par céder. Elle a décidé d’annuler le concert du chanteur qui devait se produire le 29 mai en marge de la cérémonie officielle à laquelle sont attendus le président François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel.

Dans un communiqué vendredi le maire de Verdun, Samuel Hazard (PS), a justifié cette décision par des "risques forts de troubles à l'ordre public", en raison d’une "polémique d'ampleur sans précédent" et d'un "déferlement de haine et de racisme". La veille, la mission du Centenaire, sollicitée pour participer à hauteur de 67 000 euros sur un coût global de 150 000, a refusé sa subvention au concert.

"Un crachat contre un monument aux morts"

Au cours des derniers jours, la venue du membre du groupe Sexion d'Assaut avait en effet suscité de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux notamment de la part de l’extrême droite. La présidente du Front National, Marine Le Pen, et son bras droit Florian Philippot avaient réclamé l'annulation de la manifestation, ce dernier qualifiant ce concert de "crachat contre un monument aux morts".

Pour certains, la tenue d’un concert de rap est en effet jugé comme trop "festif" pour une commémoration de la Grand Guerre, tout spécialement à Verdun où plus de 300 000 soldats français et allemands ont perdu la vie. "Peu importe que l'artiste invité à cette commémoration soit un chanteur de rap, de raï, de reggae, de rock, de hard rock, de variété française, de Techno, de musique yéyé, bebop ou autre. C'est le principe même de l'amusement, du divertissement musical pour célébrer Verdun qui est blessant", a ainsi dénoncé sur le site du Figaro, Maxime Tandonnet, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.

D’autres ont estimé de façon plus radicale qu’Alpha Diallo de son vrai nom, n’était pas digne de représenter les poilus morts pour la France. Pour preuve, selon eux, il suffit d’écouter ses paroles. "Le contenu des chansons de Black M le discrédite pour commémorer le sacrifice de nos ancêtres à Verdun", a dénoncé le député Les Républicains Hervé Mariton sur son compte Twitter. En cause notamment un couplet du groupe Sexion d'Assaut, datant de 2010. S'adressant à ses parents, Black M avait ainsi critiqué la France : "J'me sens coupable/Quand j'vois tout ce que vous a fait ce pays kouffar", un terme péjoratif signifiant "mécréants", utilisé par des groupes jihadistes.

L’annonce de l’annulation de son show a été saluée par de nombreux élus de droite et d’extrême droite. "Victoire !", a ainsi tweeté la député FN du Vaucluse Marion Maréchal Le Pen. De son côté, le candidat d'extrême droite à la présidentielle Henry de Lesquen s’est même réjoui dans un message à consonance raciste d’une "victoire du camp patriote sur la musique nègre".

Le candidat d'extrême droite Henry de Lesquen se réjouit de l'annulation

"Une capitulation" devant l’idéologie frontiste

Face à de tels propos, la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, dénonce "un ordre moral nauséabond". Plusieurs représentants de la gauche ont pour leur part déploré le revirement de la part de la mairie de Verdun. Selon l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, il s’agit clairement d’une "capitulation" devant l’idéologie frontiste. "La mairie de Verdun aurait dû maintenir le concert, et d'ailleurs c'est illégal d'interdire une manifestation artistique comme celle-là, aucune raison ne le justifiait, il n'y avait aucune menace à l'ordre public, aucun risque de violence", a-t-il déclaré.

Le secrétaire d'État aux Anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, a lui aussi exprimé sa "colère de voir qu'un déferlement de haine" puisse conduire à l'annulation du spectacle. Dans un communiqué, il notamment insisté sur la participation des soldats des colonies au cours de la Première Guerre mondiale : ‘Dois-je rappeler que c'est justement pour ces valeurs de la République que nos soldats, venus de toutes les origines sociales, de tous les continents, de toutes les religions, et jeunes pour l'immense majorité d'entre eux, ont combattu et sont morts voilà cent ans à Verdun ?"

Comme l’avait expliqué l’historien Eric Deroo, chercheur associé au CNRS français et spécialiste de l'histoire de la colonisation et des troupes coloniales françaises sur le site de RFI, "on peut considérer qu’entre 90 000 et 96 000 hommes issus de l’empire, aussi bien de l’empire d’Afrique du Nord, que de l’empire sub-sahélien que de l’Indochine ou de Madagascar", ont ainsi pris part à la bataille de Verdun qui s’est déroulé durant 300 jours en 1916.

"Une immense fierté lorsque l’on a fait appel à moi"

Dans un message publié sur son compte Facebook, le principal intéressé Black M a d’ailleurs rappelé cette histoire commune. Né en France de parents guinéens, il a salué la mémoire de son grand-père, Alpha Mamoudou Diallo, qui "a combattu lors de la guerre 39-45 au sein des Tirailleurs sénégalais – ces mêmes Tirailleurs sénégalais qui étaient également présents lors de la Bataille de Verdun".

Le message publié sur le compte Facebook de Black M

Dans ce texte accompagné d’une photo de son ancêtre, le chanteur a exprimé son attachement à son pays. "J'ai ressenti une immense fierté lorsque l'on a fait appel à moi pour participer à un concert en marge de la commémoration de la Bataille de Verdun pour l'ensemble des jeunes Français et Allemands réunis ce jour-là", a-t-il écrit. "Moi, Alpha Diallo, enfant de la République et fier de l'être, souhaite, par ce communiqué, faire barrière à ces propos haineux".

Sur les réseaux sociaux, de nombreux artistes lui ont apporté leur soutien. Soprano a posté sur son compte Instagram plusieurs photos prises pendant la guerre 14-18 montrant des soldats des colonies : "pour rafraîchir la mémoire de certains messages injurieux envers mon ami Black M". Le rappeur TheShinsekaï a aussi estimé sur Twitter que le rappeur était avant tout victime d’une campagne raciste : "Soyons clairvoyant, c’est bien et bien à cause de ses origines qu’il a été déprogrammé".

Cette polémique a même dépassé les simples frontières du rap. Avec humour, plusieurs internautes ont souligné qu’il n’était pas fan de Black M, mais qu’il était important de le soutenir. À l'image de Sihame Assbague, porte-parole du Collectif contre le contrôle au faciès : "Tu te retrouves à défendre des artistes que tu n'affectionnes pas particulièrement, juste parce que votre racisme est sans limite".

Comme le résume l’historien Nicolas Offenstadt sur Twitter, le cœur de cette polémique réside finalement dans le manque de réflexion autour de ce concert organisé en marge de la cérémonie franco-allemande du 29 mai. Selon lui, il aurait fallu dès le départ inscrire la venue de Black M dans la commémoration du centenaire de la bataille au lieu de déconnecter les deux. "Il est aussi dommageable d'annuler le concert de Black M que de ne pas avoir pensé à lier Musique et Mémoire de Guerre", constate-t-il.

 

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