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FRANCE

Affaire des quotas de CO2 : la "carbone connexion" devant la justice française

Douze personnes comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie au marché du carbone. Retour sur le "casse du siècle" organisé par une bande d'escrocs haute en couleurs.

Douze personnes sont jugées au tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie au marché du carbone.
Douze personnes sont jugées au tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie au marché du carbone. Loïc Venance, AFP
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Pour la Cour des comptes, c'est "l'arnaque du siècle". Personnages sulfureux, crimes crapuleux, casinos, voitures de luxe... l’affaire a tout du polar. Douze prévenus comparaissent entre le 2 et le 30 mai devant le tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie sur le marché des quotas à la taxe carbone, qui a coûté à l’État français près d’1,6 milliard d'euros – cinq milliards au niveau européen – selon Europol.

Les faits ont débuté en octobre 2008 et ont duré jusqu’en juin 2009. À l’époque, la Commission européenne vient de mettre en place un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans le but de lutter contre le changement climatique. Son principe est simple : les États imposent aux entreprises polluantes un plafond sur leurs émissions de CO2. À la fin de chaque année, les entreprises assujetties à la taxe carbone ont la possibilité d’échanger des quotas sur le marché européen des quotas d’émission. Une entreprise qui émet plus de CO2 que son plafond ne le lui permet doit se procurer les quotas manquants, selon le principe du pollueur-payeur. Au contraire, une entreprise qui émet moins que son plafond autorisé peut revendre ses quotas non utilisés et bénéficier ainsi de revenus pour investir dans des installations moins polluantes.

Des failles

Une taxe vertueuse censée profiter à tous mais qui comporte des failles. Ce qui n’échappent aux esprits peu scrupuleux. Pour lever des millions d'euros en à peine sept mois, des fraudeurs mettent en place un ingénieux système qui repose sur des sociétés fictives et des comptes offshores enregistrés en Lettonie, à Chypre et Hong-Kong : des hommes de paille achètent depuis l’étranger des quotas de CO2 hors taxes vendus par des industriels et les revendent en France sur le marché du carbone toutes taxes comprises, sans reverser la TVA de 19,6 % à l’administration fiscale. Ils pouvaient ainsi réinvestir le produit de la vente dans une nouvelle opération, et renouveler la fraude à l’infini compte tenu caractère immatériel du CO2. L’argent détourné était alors placé sur un compte en Chine. Les fonds étaient remis aux aigrefins une fois blanchis par des commerçants chinois ou sous forme de jetons entre joueurs de casino, entre autres combines.

Quoique ingénieux, ce tour de passe-passe a attiré l'attention des régulateurs français du marché. Dès l’automne 2008, la Bourse Bluenext et la Caisse des dépôts découvrent le pot aux roses et font part de leur découverte à Tracfin, la cellule anti-blanchiment de l'État. Le cabinet du ministre du Budget de l'époque, Éric Woerth, tout comme celui de la ministre de l'Économie Christine Lagarde sont informés de la fraude sans que rien ne se passe. Six mois plus tard et 1,7 milliard d'euros en moins dans ses caisses, l’État met enfin un terme au trafic.

"Le mécanisme avait été mal pensé au départ et comportait de réels dysfonctionnements, note Katheline Shubert, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne spécialisée dans l’économie de l’environnement à France 24. Heureusement, le système a été corrigé et une telle escroquerie n’est aujourd’hui plus possible. Mais d’autres arnaques sont toujours possibles. L’imagination des escrocs est sans limite."

La mafia "franco-israélienne"

Le délai est en tout cas suffisant pour que les trafiquants amassent une coquette somme et suscitent les convoitises du grand banditisme. Dès lors, les alliances d’hier volent en éclat et tournent au règlement de compte. Le 14 septembre 2010, Samy Souied, surnommé "le caïd des hippodromes", soupçonné d’être l’un des trois principaux organisateurs de la fraude, est abattu de 12 balles de calibre 7,65 mm par deux hommes à scooter au pied du palais des congrès à Paris. Si de nombreuses zones d'ombre demeurent toujours dans l’enquête, il ne fait pas de doute que son nom est lié à l’escroquerie de la taxe carbone.

Deux autres personnages hauts en couleur viennent compléter le trio survolté des princes de la "tève" (pour TVA) : Mardoché Mouly, dit "Marco l'élégant" et Arnaud Mimran, le golden boy des beaux quartiers. Tous naviguent dans les eaux troubles de la mafia franco-israélienne que la police nomme le "milieu affairiste franco-israélien".

Mouly, alias Coco

Né à Tunis en 1965, Mardoché Mouly, tout comme son complice Samy Souied, a grandi dans les quartiers populaires de Belleville dans le milieu de la communauté juive tunisienne. Les deux hommes, unis par des liens familiaux et les "affaires", commettent leur premier forfait ensemble dans l'arnaque aux faux encarts publicitaires. Une escroquerie qui consiste à vendre, très cher, des espaces publicitaires dans des revues ou des annuaires, parfois fictifs, à de petits commerçants et artisans.

Mouly est du genre exubérant. Selon la légende, sa gouaille et ses excentricités ont inspiré à Gad Elmaleh son personnage de Coco. Il est aussi inquiétant : il ne se déplace pas sans la présence d’un ancien champion de boxe thaï en guise de garde du corps. Celui qui se présente "comme illettré", se révèle en outre habile pour compter et amasser les billets : l’homme a déjà été condamné en première instance en janvier 2012 et mars 2015 pour escroquerie à la TVA. Bling bling, l’homme qui aime les grosses cylindrées a prêté à plusieurs reprises ses plus belles voitures à Michel Neyret, l’ancien numéro deux de la PJ lyonnaise suspecté de corruption contre des renseignements relatifs aux acteurs de la fraude aux quotas de CO2. Autre preuve de son goût pour ce qui brille : 47 sacs de grande marque, huit montres de luxe et 17 fourrures ont été retrouvés à son domicile parisien du 16e arrondissement, lors des perquisitions.

Mimran, l’inquiétant

Arnaud Mimran, courtier de métier donne, lui, dans les mondanités. Fan de Puff Daddy et joueur de poker invétéré, le golden boy de 45 ans s’est également enrichi dans les arnaques à la fausse régie publicitaire et escroqueries à la TVA en tout genre. Celui qui n’a déclaré que 45 000 euros de revenus annuels aux impôts entre 2010 et 2012 est aussi l’heureux propriétaire d’un appartement de 400 mètres carrés sur deux étages avec piscine intérieure dans le 16e arrondissement de la capitale. Un logement cossu qui reçoit la visite du rappeur Puff Daddy, du mannequin Bar Refaeli ou de la star planétaire Pharell Williams, contre rémunération, pour célébrer la bar-mitsva de son fils en novembre 2012.

Arnaud Mimran intéresse les juges du pôle national financier mais pas seulement. Son nom revient dans plusieurs dossiers d'assassinats. Il est notamment soupçonné d’être le commanditaire du meurtre de Samy Souied qui n’était alors pas en mesure de rembourser la somme estimée entre 20 et 50 millions d'euros qu’il lui devait. Il est également soupçonné d’avoir fait abattre Claude Dray, son ex-beau-père, en octobre 2011. Enfin, il pourrait avoir un lien avec le meurtre, en avril 2014, du garde du corps de Cyril Mouly, un grand joueur de poker avec qui Mimran connaît quelques démêlés.

En attendant le déroulement du procès, il n’est pas évident que le Trésor public récupère un jour les millions détournés. Parmi les 12 personnes renvoyées en procès fin juillet, six font l'objet de mandats d'arrêt, pour la plupart des gérants de paille désormais installés en Israël. "Identifier les biens des cadors de la 'tève' [TVA] est extrêmement difficile, constate un enquêteur. Car ils dissimulent leur patrimoine derrière des sociétés immatriculées dans les paradis fiscaux".

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