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FESTIVAL DE CANNES

Cannes, jour 5 : cinq raisons de penser que Jean-Luc Godard est un dieu

Il est à Cannes sans y être. On vénère sa bonne parole comme on la rejette. Il ne fait pas des films, mais des livres d'image. La preuve par cinq que Jean-Luc Godard est plus qu'un cinéaste.

Jean-Luc Godard en pleine conférence de presse, via un téléphone portable, à Cannes, le 12 mai.
Jean-Luc Godard en pleine conférence de presse, via un téléphone portable, à Cannes, le 12 mai. Les Films Pelléas - Diaphana
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À Cannes, Jean-Luc Godard est un dieu. Il suffit de décomposer son nom pour le prouver : god-ard, ("god" signifie "dieu" en anglais, et "ard", c’est plus simple, signifie "art"). Pour ceux qui ne croiraient pas au sens caché des mots (lisez Jacques Lacan), nous avons tenté de rassembler d’autres preuves de la divinité du cinéaste helvète. Enquête sur la Croisette.

• Il est omniprésent
On le vénère, mais on ne le voit jamais. Sur la Croisette, Jean-Luc Godard est là sans y être. Son œuvre, elle, est présente un peu partout sur les murs de Cannes, puisque c’est une scène de "Pierrot le fou" (celle où Jean-Paul Belmondo et Anna Karina s’embrassent au volant de leur voiture respective) qui sert d’illustration à l’affiche officielle du 71e festival.

Son dernier film, "Le Livre d’image", est en lice pour la Palme d’or, mais lui n’a pas fait le déplacement pour le défendre. Ce qui ne l’a pas empêché de donner une conférence de presse, samedi. Conférence de presse aux allures d’apparition divine, puisque c’est depuis un téléphone portable, via l’application Facetime, que JLG, tel qu’on le nomme au sein de l’église cinéphilique, a répondu aux questions des journalistes. Qui d’autres que lui parvient à créer l’événement sur la Croisette sans y être physiquement ? (Réponse : personne.)

En 2014, déjà, la vidéo qu’il avait envoyée pour s’excuser de ne pouvoir présenter en personne son film "Adieu au langage" avait suscité un bruit médiatique peut-être plus important que le film lui-même. Il affirmait ainsi : "Je ne suis pas non plus là où vous croyez encore que je suis encore. En fait, je suis d'autres pistes."

• Ses voies sont impénétrables
Tous ceux qui, récemment, ont tenté de remonter la piste de Jean-Luc Godard s'y sont cassés les dents. Dernier exemple en date : Agnès Varda et JR qui, l’an passé, dans leur documentaire "Visages villages", pensaient pouvoir filmer le réalisateur dans sa retraite suisse de Rolle, ont trouvé porte close et un petit rébus [mal vécu par Agnès Varda] en guise de mot d’excuse.

On notera (belle ironie) que c’est un autre tout-Puissant, Google, qui est parvenu à capter JLG. C’était en 2016, le géant de l’Internet pour les besoins de son site de géolocalisation Street View avait immortalisé le démiurge en train de marcher dans une rue de Rolle avec un sac de course à la main (le résultat est visible ici).

• Il est omnipotent
Jean-Luc Godard peut tout faire. Ses courses, des films, des essais, des livres, des expositions (vous trouverez tout sur sa fiche Wikipédia). Il peut même apparaître sur la Croisette sous les traits d’un autre. Ceux, par exemple, de l’acteur Louis Garrel qui, l’année dernière, interprétait JLG dans le biopic parodique "Le Redoutable" de Michel Hazanavicius.

>> À voir sur France 24 : " À L'AFFICHE - 'Godard virtuellement présent sur la Croisette' "

Encore plus fort, Godard peut faire annuler le festival de Cannes. Il l’a déjà fait en mai 1968, au plus fort des événements. Il n’était pas seul, certes, mais la séquence restée célèbre où il invective les festivaliers opposés à l’arrêt des projections ("vous êtes des cons !") en a fait le héraut de la contestation.

• Il a ses exégètes
Ce n’est pas un scoop, l’œuvre de Godard n’est pas des plus accessibles. Au fil des années, le cinéaste a abandonné toute velléité narrative pour se centrer sur une expérimentation formelle qui rend le fond (souvent politique) de plus en plus difficile à sonder. On ne parle plus de films, mais d’essais, de poèmes, de collages, d’expériences de cinéma construites façon puzzle. Le trésor de références littéraires, cinématographiques et photographiques que recèle chacune de ses créations demanderait toute une vie pour l’analyser. Certains s’y emploient, notamment dans les universités, où ses travaux font l’objet d’études très poussées (exemple : "L’Accident ou la chair dévoilée : à propos de la thématique accidentale dans l’œuvre de Jean-Luc", article d’Anne Boissel paru en 2014 dans "L’Esprit du temps")

"Le Livre d’image" présenté cette année à Cannes est un summum de l’art gordardien. On y voit beaucoup de choses projetées de manière partielle, furtive, imprécise. Dans la première partie, le cinéaste livre ses réflexions sur notre rapport à l’image, les siennes (plusieurs séquences sont issues de ses propres films, "La Chinoise" et "Hélas pour moi", notamment) et celles de ses défunts pairs (Fellini, Murnau, Keaton…). Par on ne sait encore quelle transition, la deuxième partie est consacrée au monde arabe. "Les Arabes peuvent-ils parler ?", dit-il alors pour épingler la surdité de l’Occident sur les troubles que traversent cette région du monde (du moins, est-ce comme cela qu’on l’a compris). On croit saisir alors que "Le Livre d’image" est celui illustrant le conte, raconté en voix off, d’un homme rêvant d’un pays sans pétrole, une sorte d’Arabie heureuse qui n’existe plus ("L'Arabie heureuse" désignant autrefois le Yémen, c’est dire si l’épithète a pris un coup dans l’aile).

Géographiquement, nous ne sommes donc pas loin des lieux saints. Le sacré, voilà l’affaire de Godard. "Avec les religions du livre, le texte des lois, les Dix Commandements, nous avons sacralisé le texte. Il fallait le livre d’image", explique mine de rien la voix rauque du cinéaste.

• Il a des disciples
Personne, autre que Jean-Luc Godard, ne peut faire de films de Jean-Luc Godard. L’affaire est entendue. Mais il arrive, parfois, que des intrépides s’aventurent sur ses terres. Peu avant l’ouverture du festival, le site lundimatin a publié un article affirmant que le réalisateur leur avait envoyé un court-métrage de soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Intitulé "Vent d’ouest", la vidéo reprend la vulgate godardienne avec ses larges typos, une voix off sentencieuse et des images d’archives coupées à la hache. Tout ceci n’est qu’un faux, a dû préciser l’entourage du plagié. Car beaucoup de monde y croyait. Cela s’appelle avoir la foi.

Les Tribulations d’une Chinoise en Chine

Le caractère divin de Jean-Luc Godard ayant été brillamment démontré, revenons à nos agneaux. À force de parler d’un réalisateur qui concourt hors catégorie [mais pas hors compétition], on avait fini par oublier qu’une compétition se tenait sur la Croisette. Cinq ans après l’époustouflant "A Touch of Sin" (prix du scénario) et trois ans après "Au-delà les montagnes", le Chinois Jia Zangh-ke fait son retour dans la course à la Palme d’or avec "Les Éternels", robuste fresque romanesque sur la vie d’une femme. Ou plutôt sur les trois vies d’une femme, dont le tort fut d’aimer le mauvais homme. Qaio (superbe Zhao Tao) est d’abord une femme heureuse, filant le parfait amour avec Bin (Liao Fan), chef de la pègre à la petite semaine. Femme trahie ensuite, qui se sacrifie pour son compagnon avant que celui-ci ne l’abandonne. Femme miséricordieuse enfin, qui espère un retour à la vie d’avant par la grâce de son pardon.

De ces trois vies d’une même femme puissante, c’est la deuxième qui est la plus captivante. La plus belle aussi dans ce qu’elle dit de l’errance et de la solitude d’un être parmi 1,3 milliard d’autres. Film féministe, "Les Éternels" ne pouvait dresser un portrait de femme plus implacable que celui de Qaio, coriace héroïne usant de ses muscles et de son intelligence pour rendre coup sur coup. Mais aussi de sa fragilité pour panser les plaies des plus paumés qu’elle (scène magnifique où elle étreint entre deux wagons d’un train de nuit un petit commerçant se faisant passer pour un chasseur d’ovni).

Zhao Tao dans "Les Éternels", du Chinois Jia Zhang-ke
Zhao Tao dans "Les Éternels", du Chinois Jia Zhang-ke Ad Vitam

Le cinéma de Jia Zhang-ke est ici moins en colère, mais demeure attentif aux mutations de son pays. Au-delà de sa veine féministe, "Les Éternels" est un film sur ce qui ne l’est justement pas, sur ce qui est voué à disparaître dans cette Chine, fermant ses mines au gré de ses besoins énergétiques, ou évacuant des villes entières avant que la construction proche d’un barrage ne vienne les engloutir sous les eaux.

Parions que la performance de Zhao Tao ne laissera pas le jury de Cate Blanchett indifférent. À moins que ce ne soit le film dans son ensemble que les jurés souhaiteront distinguer. Il est bien trop tôt pour se risquer au moindre pronostic. Nous avons encore 12 vies de festivaliers à vivre.

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