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Découvertes

L’ukwaluka, le dangereux rite de circoncision en Afrique du Sud au cœur du film "Les Initiés"

Dans le film "Les Initiés", au cinéma le 19 avril, le réalisateur John Trengove s’est intéressé à un rite initiatique de la tribu des Xhosa en Afrique du Sud. Un rituel tabou, qui inclut la circoncision et fait des dizaines de morts chaque année.

Des initiés, près de Qunu en Afrique du Sud, en 2007.
Des initiés, près de Qunu en Afrique du Sud, en 2007. Susan Winters Cook/Getty Images
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Vous avez sans doute déjà vu des photos de ces jeunes garçons, le visage peint en blanc et le corps nu enroulé dans une couverture, dans un livre de photos de voyage, une exposition ou même sur Pinterest. Mais derrière ces "jolies" photos aux couleurs saisissantes se cache une douloureuse et dangereuse épreuve pour tous ces hommes de la tribu des Xhosa en Afrique du Sud.

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L’ukwaluka ou ulwaluko est un rite de passage à l’âge adulte comme il en existe encore beaucoup à travers le monde. Il consiste à emmener les adolescents âgés de 18 ans environ à l’écart de la ville. Là-bas, sans anesthésiant, antidouleur ou antibiotique, des anciens de la tribu des Xhosa procèdent à la circoncision des plus jeunes avec un couteau ou des ciseaux avant qu’ils ne crient "Ndiyindoda! I Am A Man !".

La tête rasée, le visage et le corps peints à l’argile blanche et vêtus d’une couverture épaisse, les garçons passent ensuite trois à quatre semaines à l’écart, parfois totalement privés d’eau et de nourriture. S’ils survivent à ces étapes, ces jeunes Xhosa deviennent alors enfin des hommes.

"La quasi-totalité des hommes du peuple Xhosa y va sans hésiter"

"Aujourd’hui encore, la plupart des jeunes considèrent ce moment comme le plus important de leur vie. La quasi-totalité des hommes du peuple Xhosa y va sans hésiter, qu'ils vivent à la ville ou à la campagne", explique John Trengove, réalisateur sud-africain du film "Les Initiés" qui a passé beaucoup de temps dans la province de Cap oriental où les rites sont les plus fréquents. La preuve en est que tous les acteurs de son film – excepté un – ont eux-mêmes passé ce rite d’initiation.

Pourtant en acceptant de faire ce film, qui aborde aussi les pratiques homosexuelles qui y ont parfois lieu, ces acteurs pour la plupart non-professionnels ont bravé l’interdit. Car les Xhosa n’ont pas le droit de parler ouvertement du rite de l’ukwaluka. Mais si les deux acteurs principaux du film "Les Initiés" ont reçu des menaces avant même que le film ne soit sorti en Afrique du Sud, d’autres avant eux avaient déjà rompu la loi du silence.

Un rite traditionnel mortel

Nelson Mandela, de la tribu sud-africaine Xhosa, faisait le récit de son ukwaluka dans son autobiographie "Un long chemin vers la liberté" sortie en 1994. Alors qu’il n’avait que 16 ans, Madiba raconte : "Sans un mot, il a pris mon prépuce, l’a tiré, et puis, en un seul coup, il a abattu son assegai (une lance traditionnelle, NDLR). J’ai eu l’impression que du feu parcourait mes veines. La douleur était si intense que j’ai enfoncé mon menton dans ma poitrine." En 2009, le romancier Thando Mgqolozana a lui aussi raconté l’histoire d’un jeune Xhosa circoncit dans le livre "A Man Who is Not a Man", avant de co-scénariser aujourd’hui le film de John Trengove. En 2013 encore, l’émission People & Power d’Al Jazeera diffusait un reportage du réalisateur sud-africain Mayenzeke Baza sur ce sujet. Et si les voix s’élèvent malgré les interdits, c’est parce que le rituel ukwaluka est dangereux voire mortel.

"Les initiés souffrent de déshydratation, blessures, pneumonie, gangrènes ou iinfection du pénis"

Chaque année, des milliers de garçons Xhosa sont initiés. Et chaque année, le rite fait des victimes. En 2012, 42 garçons sont morts des suites d’une circoncision bâclée d’après des associations de défense des droits de l’homme, cinq initiés ont été amputés du pénis et 300 autres ont été hospitalisés pour leurs blessures, rapporte le média sud-africain Mail & Guardian. En 2013, l’ukwaluka faisait 30 victimes selon les autorités locales. En 2015, sur les 40 000 jeunes initiés, le porte-parole du ministère de la Santé de Cap oriental Sizwe Kupelo déclarait à l’AFP : "Quatorze adolescents sont morts et 141 ont été transférés dans divers hôpitaux." Tous souffraient "de déshydratation, de blessures, de pneumonie, de gangrènes ou d’une infection du pénis" et neuf d’entre eux étaient en attente d’une greffe du pénis.

En 2012, le porte-parole de l’ONG The Sonke Gender Justice Network Mbuyiselo Botha s’interrogeait dans le quotidien Sowetan : "Pourquoi autorisons-nous nous certains pratiques culturelles à voler le futur des adolescents ?" Comme lui, de nombreuses voix d’ONG et autres associations de défense des droits de l’homme se sont levées en Afrique du Sud pour sensibiliser au danger extrême de ces circoncisions pratiquées par des chirurgiens traditionnels grassement payés par les familles et souvent peu scrupuleux des conditions d’hygiène.

Inculquer des pratiques médicales

Si le but n’est pas d’interdire ce rituel traditionnel pratiqué depuis des centaines d’années dans la tribu des Xhosa, il faut par contre à tout prix que les circoncisions suivent des règles d’hygiène. Le 6 janvier 2014, l'archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, lui aussi d’origine Xhosa, publiait un communiqué dans lequel il demandait aux "gardiens de la santé et de la culture sud-africaine" de trouver une façon de travailler ensemble pour "protéger la sainteté de nos pratiques traditionnelles tout en évitant ce que certains qualifient de 'mutilation génitale masculine'". Il faut "faire appel aux compétences de médecins qualifiés pour améliorer nos techniques traditionnelles de circoncision", insistait le prix Nobel de la paix 1984.

"Faire appel aux compétences de médecins qualifiés pour améliorer nos techniques traditionnelles"

C’est dans ce sens que le gouvernement sud-africain a fait fermer de nombreuses écoles d’initiations illégales ces dernières années. Mais il n’est pas question pour beaucoup de jeunes d’être circoncit dans un hôpital, "de nombreux habitants de la province de l’Eastern Cape estiment que la méthode de circoncision rapide et sans souffrance effectuée par les médecins qualifiés, ne permet pas aux adolescents de devenir des adultes", écrivait le correspondant de RFI à Johannesbourg. Alors certaines initiatives visent à apprendre des "bonnes pratiques" aux chirurgiens traditionnels. Le site Ulwaluko.co.za, qui avait fait polémique en publiant des photos choquantes de circoncisions ratées, propose par exemple de télécharger un manuel de formation à la circoncision et des recommandations médicales, en anglais ou en xhosa, élaborés par des urologues et des chirurgiens.

La nécessité vitale d’encadrer cette pratique est d’autant plus importante depuis 2010, lorsque le gouvernement sud-africain a lancé un vaste plan de circoncision soutenu par l’OMS pour lutter contre l’épidémie du sida, et qui a donné l’idée à une autre tribu, les Zoulous, de rétablir ce rite traditionnel.

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